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RPT-L'attaque en Isère est la première visant un site Seveso

L'attaque de vendredi contre l'usine d'Air Products de Saint-Quentin Fallavier (Isère) est la première contre un site classé Seveso et aurait pu tourner à la catastrophe humaine et écologique si son auteur avait réussi à la faire sauter. /Photo prise le 26 juin 2015/REUTERS/Emmanuel Foudrot

par Emmanuel Jarry PARIS (Reuters) - Répétition du titre. L'attaque de vendredi contre l'usine d'Air Products de Saint-Quentin Fallavier (Isère) est la première contre un site classé Seveso et aurait pu tourner à la catastrophe humaine et écologique si son auteur avait réussi à la faire sauter. Les dégâts considérables causés le 21 septembre 2001 par l'explosion de l'usine d'engrais AZF de Toulouse, qui avait fait 31 morts et des centaines de blessés, donnent une idée de ce à quoi cette bourgade proche de Lyon a peut-être échappé. La piste du terrorisme avait d'ailleurs été un temps évoquée à propos de cette catastrophe, survenue quelque jours après les attentats contre le World Trade Center de New York, avant que l'enquête ne conduise à l'abandonner. Mais ces sites répertoriés comme dangereux et nécessitant des mesures de sûreté et de sécurité particulières en raison de la nature des produits qu'ils fabriquent ou stockent, sont de toute évidence des cibles potentielles et tentantes. "C'était déjà le cas dans les années 1986-95. L'idée générale était de faire sauter le couloir de la chimie à Lyon", a dit à Reuters le professeur de criminologie et spécialiste des questions de sécurité Alain Bauer. "C'est un objectif naturel." C'est le rejet accidentel de dioxine, en 1976 par une usine de Seveso, en Italie, qui a amené l'Union européenne à exiger des mesures spécifiques pour ces sites industriels à risques. Le ministère de l'Ecologie en recense 1.292 en France, dont 719 dites de "seuil haut" - les plus dangereux, soumis aux contraintes les plus strictes -- et 573 de "seuil bas". L'usine Air Products de Saint-Quentin Fallavier, qui fabrique des produits chimiques et des gaz industriels, est classée en "seuil bas" mais a dans son voisinage deux sites en "seuil haut", dont un établissement de Total. LE DANGER C'EST L'USURE Une des obligations imposées par les directives Seveso est précisément d'évaluer l'impact potentiel d'un accident sur les installations voisines, un effet "domino" qui pourrait vite se transformer en effet "corridor" dans une région comme celle de Lyon qui concentre 145 de ces sites sur un espace assez réduit. A l'issue d'un conseil restreint convoqué à l'Elysée par François Hollande, le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve a annoncé samedi un renforcement de leur surveillance. "Nous avons mis en place des gardes dynamiques autour des sites Seveso et, en lien avec les industriels, rappelé les règles qui s'appliquent en la matière pour assurer la prévention de risques concernant ces sites", a-t-il déclaré. La perte de vigilance dans l'application des règles de sécurité est une des failles du système, estiment les experts. Le député socialiste Jean-Yves Le Déault, qui a notamment été le rapporteur de la commission d'enquête parlementaire sur la catastrophe d'AZF, parle de "banalisation du risque". "Les sites extrêmement sensibles sont surveillés comme une centrale nucléaire", souligne Alain Bauer. Mais "il y a une forme d'inertie naturelle et de réduction de la sensibilité à ces questions", ajoute-t-il. "On bloque la porte pour aller fumer une cigarette, on ne montre plus son badge parce qu'on est censé être connu, etc. Le plus grand risque en matière de sécurité, c'est l'usure." Pierre Martinet, ancien agent de la DGSE, se demande comment l'auteur présumé de l'attentat, Yassin Salhi, a eu accès à un site Seveso après avoir fait l'objet d'une fiche "S" ("Sûreté de l'Etat") en 2006-2008 à cause de ses sympathies salafistes. "C'est très inquiétant. Il faudrait aujourd'hui savoir le nombre de personnes qui ont une fiche 'S' (...) et qui peuvent avoir accès à des sites sensibles", a-t-il dit à BFM TV. COMMUNICATION La vulnérabilité de ces sites a aussi été soulignée par le récent épisode des survols de centrales nucléaires ou du centre de Paris par des drones ou par les intrusions de militants écologistes dans le périmètre de sécurité des mêmes centrales. Pour Antoine Basbous, directeur de l'Observatoire des pays arabes, Yassin Salhi, qui a jeté sa camionnette de livraison sur des bonbonnes de gaz après avoir décapité son patron, est un "amateur" et un terroriste plus aguerri, après un séjour dans une zone de combat du Proche-Orient, aurait fait plus de dégâts. S'attaquer à un site industriel sensible pour faire le maximum de victimes suppose des connaissances techniques qu'il n'avait pas, selon des experts interrogés par Reuters. "La démonstration faite hier c'est l'amateurisme dans le choix de la cible et dans le processus général. Mais les effets de cette opération sont considérables", estime néanmoins Alain Bauer, pour qui le terrorisme est d'abord de la communication. "En terme de communication c'est une totale réussite", fait-il valoir en se référant à l'émotion suscitée par cet attentat.