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L'assaut sur Alep pousse les modérés vers les djihadistes

L'offensive des forces pro-gouvernementales syriennes sur Alep contraint les rebelles nationalistes à travailler plus étroitement avec les djihadistes, compliquant un peu plus encore l'approche du conflit par les Occidentaux, qui soutiennent l'opposition modérée à Bachar al Assad. /Photo prise le 26 septembre 2016/REUTERS/Abdalrhman Ismail

par Suleiman Al-Khalidi et Tom Perry AMMAN/BEYROUTH (Reuters) - L'offensive des forces pro-gouvernementales syriennes sur Alep contraint les rebelles nationalistes à travailler plus étroitement avec les djihadistes, compliquant un peu plus encore l'approche du conflit par les Occidentaux, qui soutiennent l'opposition modérée à Bachar al Assad. L'assaut lancé la semaine dernière avec le soutien de l'aviation russe contre les quartiers sous contrôle rebelle de la grande ville du nord, principal centre urbain tenu par les insurgés, a largement entamé les capacités logistiques de ces derniers. Alep-Est est assiégé. Des bombes perforantes ou incendiaires sont larguées sur la ville. Des dépôts d'armes, de munitions et de carburants sont détruits. Dans ces conditions, les rebelles combattant sous la bannière de l'Armée syrienne libre (ASL) n'ont d'autre choix que de se coordonner plus étroitement avec les groupes djihadistes, soit l'exacte inverse de ce que la diplomatie américaine a tenté d'obtenir. A Alep, des membres de l'ASL partagent leurs moyens opérationnels avec les combattants du Djaïch al Fatah, une alliance de groupes islamistes intégrant notamment le Front Fateh al Cham, ex-Front Al Nosra, affilié jusqu'à la rupture de juillet dernier avec Al Qaïda. Dans la province voisine de Hama, des groupes de l'ASL équipés de missiles antichar fournis par les Etats-Unis prennent part à une offensive commune avec le Jound al Aksa, un groupe islamiste inspiré par Al Qaïda. QUESTION DE SURVIE Cette recomposition s'apparente à une alliance des contraires entre des groupes qu'opposent d'importantes divergences idéologiques et qui se sont affrontés à plusieurs reprises au cours des cinq années et demie de guerre civile en Syrie. Mais dans le contexte de l'assaut brutal contre Alep, et tandis que les Occidentaux ne parviennent pas à reprendre la main face à l'alliance nouée entre Damas et Moscou, l'enjeu essentiel, c'est désormais la survie. "Au moment où nous sommes en train de mourir, il ne serait pas logique de vérifier d'abord si un groupe est considéré ou non comme terroriste avant de coopérer avec lui", explique un haut responsable d'une faction armée engagée dans la défense d'Alep-Est. Les rebelles de l'ASL, formée à l'origine par des transfuges de l'armée syrienne, sont le pivot de la politique syrienne des puissances occidentales et des ennemis régionaux d'Assad, dont la Turquie et l'Arabie saoudite. Ils leur ont fait parvenir des armes via des centres de coordination. Mais Washington est aujourd'hui réticent sur l'ampleur et la nature de ce soutien, s'opposant à des livraisons de missiles sol-air dont l'administration Obama redoute qu'ils finissent entre les mains de groupes djihadistes. Dans le cadre de l'accord russo-américain du 9 septembre qui a ouvert la voie à un cessez-le-feu, aujourd'hui enterré, les rebelles nationalistes devaient s'éloigner des djihadistes. Les Etats-Unis se seraient alors alliés à la Russie pour bombarder ces cibles de l'ex-Front al Nosra et de l'Etat islamique (EI). La trêve a volé en éclats dix jours plus tard. Les rebelles, dépassés par la puissance de feu de l'aviation russe engagée dans le conflit depuis un an et des milices pro-Assad soutenues par l'Iran, s'estiment lâchés par leurs alliés étrangers. WASHINGTON EN QUÊTE D'UN PLAN B Noah Bonsey, analyste à l'International Crisis Group (ICG), ne croit pas à une fusion entre les brigades de l'ASL et les groupes djihadistes. Mais l'offensive gouvernementale sur Alep, poursuit-il, "pousse clairement tous les groupes rebelles hors Daech à plus de coopération". "Il ne fait guère de doute que les initiatives du Fateh al Cham visant à convaincre les autres de se joindre à lui vont probablement gagner en efficacité si l'offensive pro-régime continue à la même échelle et si les Etats qui soutiennent l'opposition sont incapables de fournir d'autres réponses aux exigences des rebelles en matière d'équipements de défense", ajoute-t-il. D'après des responsables américains interrogés mercredi, l'administration Obama commence à envisager des réponses plus dures face à l'offensive en cours à Alep, y compris des options militaires, mais ces discussions "inter-agences" n'ont pas encore pris la forme de recommandations. Le président démocrate, qui aura quitté la Maison blanche dans quatre mois, a lui même déclaré qu'hormis l'envoi massif de troupes au sol, une option qu'il refuse, il n'avait pas encore entendu d'idées convaincantes. Dans l'immédiat, des groupes rebelles disent revoir leur stratégie. Selon ce haut responsable d'une faction armée engagée dans la défense d'Alep-Est, renoncer à tenir des territoires pourrait être un des éléments d'une nouvelle approche. "Nous sommes dans une guerre de libération face à la Russie et l'Iran", ajoute-t-il. "Elle pourrait se muer en une guerre de guérilla sur le long terme." (Henri-Pierre André pour le service français, édité par Eric Faye)