L'armée prend le pouvoir en Thaïlande et suspend la Constitution

L'armée a pris le pouvoir jeudi en Thaïlande, justifiant ce coup d'Etat par la nécessité de rétablir l'ordre après six mois de violentes contestations politiques et de procéder à des réformes institutionnelles. /Photo prise le 22 mai 2014/REUTERS/Athit Perawongmetha

par Amy Sawitta Lefevre BANGKOK (Reuters) - L'armée a pris le pouvoir jeudi en Thaïlande, justifiant ce coup d'Etat par la nécessité de rétablir l'ordre après six mois de violentes contestations politiques et de procéder à des réformes institutionnelles. L'annonce de cette reprise en main a été faite en direct à la télévision par le général Prayuth Chan-ocha, chef d'état-major des armées, deux jours après l'instauration de la loi martiale. "Afin de permettre à la situation de revenir rapidement à la normale, de rétablir la paix sociale et de réformer le fonctionnement de la structure politique, économique et sociale, l'armée doit prendre le contrôle du pouvoir", a simplement expliqué le général Prayuth. Un couvre-feu a été instauré sur l'ensemble du territoire entre 22h00 et 05h00 du matin et toutes les stations de radio et de télévision ont cessé la diffusion de leurs programmes habituels, remplacés par des messages des militaires. La Constitution a été temporairement suspendue et le Premier ministre par intérim, Niwatthamrong Boonsongphaisan, et ses ministres ont été convoqués dans une caserne du nord de Bangkok pour rendre compte à l'état-major. Peu de temps auparavant, les soldats avaient appréhendé le leader de la contestation antigouvernementale, Suthep Thaugsuban. Les rassemblements de plus de cinq personnes sont désormais interdits. Le secrétaire d'Etat américain, John Kerry, a annoncé que Washington allait reconsidérer son aide, notamment militaire, à la Thaïlande. "Il n'y a aucune justification à ce coup d'Etat militaire", dit-il dans un communiqué, évoquant des "implications négatives pour les relations américano-thaïlandaises, et notamment avec l'armée thaïlandaise". Il a demandé la libération des dirigeants politiques arrêtés. CONDAMNATIONS Les Nations unies ont exprimé leur crainte de voir les libertés fondamentales remises en cause et ont appelé les autorités à respecter les droits de l'homme. François Hollande a au nom de la France condamné cette prise de pouvoir et plaidé pour "un retour immédiat à l’ordre constitutionnel et l’organisation d’un processus électoral". Le Japon a jugé ce coup d'Etat regrettable et l'Australie a mis en garde ses ressortissants présents en Thaïlande. Ce coup d'Etat est un nouvel épisode dans la crise que connaît le pays depuis une décennie et qui oppose d'une part les partisans de l'ancien Premier ministre Thaksin Shinawatra, renversé par l'armée en 2006, et d'autre part la classe dirigeante royaliste. Depuis l'instauration de la monarchie constitutionnelle, en 1932, les soldats ont mené 18 coups ou tentatives de coup d'Etat, le dernier en date contre Thaksin, il y a huit ans. Après avoir imposé la loi martiale, Prayuth avait appelé les deux camps à un premier tour de table, mercredi, pour tenter de trouver un compromis s'articulant autour de la nomination d'un Premier ministre intérimaire, de réformes politiques et la convocation d'une élection. La réunion s'est soldée par un échec, aucune des deux parties ne souhaitant faire de concessions. L'armée a alors laissé les "chemises rouges" de Thaksin et les manifestants antigouvernementaux occuper la rue en s'assurant qu'il n'y ait pas d'affrontements directs. Après l'annonce en direct du coup d'Etat, les soldats ont effectué des tirs de sommation pour disperser des milliers de partisans de l'ex-chef du gouvernement Yingluck Shinawatra, la soeur de Thaksin, qui se sont réunis dans la banlieue ouest de Bangkok. Un dirigeant du mouvement a été appréhendé. ACCUSATIONS DE POPULISME Les pro-Thaksin ont annoncé qu'ils entendaient poursuivre leur contestation dans les faubourgs de la capitale, malgré la prise de pouvoir par les militaires. "Nous n'irons nulle part. Ne cédez pas à la panique car nous nous attendions à cela. Ce qui doit arriver arrivera", a lancé le leader des "chemises rouges", Jatuporn Prompan. Ancien magnat des télécommunications, Thaksin Shinawatra vit depuis 2008 en exil afin d'échapper à une peine de prison pour corruption. Il bénéficie d'une forte popularité dans certaines régions rurales et dans des zones urbaines pauvres où son influence s'exerce au travers de sa soeur Yingluck. Cette dernière a été destituée il y a deux semaines par la Cour suprême de Thaïlande mais son gouvernement chargé d'expédier les affaires courantes demeurait en principe en fonction. Les manifestants antigouvernementaux accusent l'homme d'affaires de continuer à tirer les ficelles en coulisses. Ils lui reprochent de mener une politique populiste et de se servir des fonds publics pour acheter des soutiens électoraux. Ils réclament la désignation d'un chef de gouvernement "neutre" pour superviser une réforme électorale destinée à débarrasser le pays de l'influence de la famille Shinawatra. Les affrontements entre les deux camps se sont soldés par 28 morts et plus de sept cents blessés depuis la reprise des tensions à la fin de 2013. L'instabilité politique pèse sur l'économie avec une contraction du PIB de 2,1% entre janvier et mars 2014 par rapport au trimestre précédent. (Alan Raybould et Alex Richardson, Danielle Rouquié et Guy Kerivel pour le service français)