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La Russie envoie des renforts en Syrie malgré l'indignation

par Dmitry Solovyov et Ellen Francis MOSCOU/BEYROUTH (Reuters) - L'armée russe a envoyé plusieurs bombardiers supplémentaires en Syrie, rapportent vendredi les Izvestia, malgré le tollé soulevé par l'offensive militaire en cours à Alep, qui a fait 338 morts en une semaine, selon l'OMS. Les forces syriennes appuyées par l'aviation russe ont lancé une vaste offensive dans les quartiers est d'Alep aux mains des insurgés après l'expiration, le 19 septembre, du bref cessez-le-feu négocié par Moscou et Washington. Le président Barack Obama et la chancelière allemande Angela Merkel ont condamné "les frappes aériennes barbares de la Russie et du régime syrien dans l'est d'Alep", lors d'un entretien téléphonique jeudi. Pour les puissances occidentales, qui parlent de crimes de guerre, les forces russes ont depuis la fin de la trêve délibérément bombardé cibles civiles, hôpitaux et convois humanitaires pour briser la résistance des 250.000 habitants de la zone assiégée, le dernier grand centre urbain tenu par les insurgés. Dès ses premiers raids en Syrie, il y a un an jour pour jour, l'armée russe "a frappé des zones civiles et elle utilise de plus en plus d'armes aveugles, y compris des bombes à sous munitions et des bombes incendiaires", s'est indigné Gareth Bayley, représentant spécial de la Grande-Bretagne pour la Syrie. "La réalité aujourd'hui en Syrie est un cauchemar. Alep est à nouveau assiégée, des centaines de milliers de personnes sont à court de produits vitaux comme l'eau, le carburant et les médicaments. Des infrastructures civiles telles que des écoles et des hôpitaux sont pris pour cible..." Les habitants parlent de bombardements d'une intensité sans précédent et d'armes à fort pouvoir de pénétration qui détruisent entièrement les constructions. De violents combats ont éclaté dans le centre et au nord de la ville, où l'armée a repris le camp de réfugiés palestiniens d'Handarat pour la deuxième fois depuis le début de l'offensive. Les forces gouvernementales disent avoir pris position autour de l'hôpital de Kindi, voisin du camp, ce que les rebelles contestent. L'état-major fait état en outre de succès dans le quartier de Souleiman al Halabi, au centre-ville, mais les insurgés disent avoir repoussé l'assaut. Dans l'est, une station de distribution d'eau a été détruite, rapporte l'OSDH, qui en impute la responsabilité à l'armée. De source militaire syrienne, on assure qu'elle a été plastiquée par les rebelles, qui s'apprêtent à battre en retraite. "MOUVEMENTS TERRORISTES" A Moscou comme à Damas, on jure ne rien viser d'autre que les positions de "mouvements terroristes". Les combattants islamistes se seraient rendus maîtres de la capitale, Damas, si la Russie n'était pas intervenue au côté du gouvernement syrien, a du reste affirmé Dmitri Peskov, porte-parole du Kremlin. Selon les Izvestia, qui citent une source militaire russe, un escadrille composée de bombardiers Su-24 et Su-34 est arrivée sur la base syrienne de Hmeymime. "S'il le faut, l'armée de l'air sera encore renforcée en l'espace de deux, trois jours. Des avions d'attaque au sol Su-25 ont été sélectionnés pour être envoyés à Hmeymime et les équipages attendent les ordres de leurs commandants", a-t-on ajouté, poursuit le quotidien. Le Su-25, un biréacteur blindé qui peut être utilisé comme bombardier, s'est illustré dans les années 80 en Afghanistan. Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a estimé que les termes de l'accord de "cessation des hostilités" conclu le 9 septembre avec les Etats-Unis tenaient toujours. Lors d'un entretien téléphonique avec le secrétaire d'Etat américain, John Kerry, il a assuré que Moscou était disposée à continuer à travailler avec les Etats-Unis en vue d'une solution au conflit syrien. "La Russie réaffirme sa volonté de continuer à chercher des solutions supplémentaires, ensemble avec ses partenaires américains, sur la normalisation de la situation à Alep", dit un communiqué du ministère russe des Affaires étrangères. Le texte précise que Sergueï Lavrov a accusé des groupes rebelles de l'est d'Alep "dirigés par (l'ex-) Front al Nosra" d'avoir violé à de multiples reprises l'accord de cessez-le-feu qui avait été conclu par Washington et Moscou. L'incapacité des Etats-Unis à opérer, dit-il, la distinction entre "terroristes" et "opposition modérée" a permis aux djihadistes d'Al Nosra "de se cacher derrière des groupes de l'opposition armée avec lesquels Washington coopère, bien que nombre d'entre eux n'aient pas accepté l'accord de cessez-le-feu russo-américain". AU BORD DE LA RUPTURE De son côté, le département d'Etat a reconnu qu'aucun progrès n'avait été enregistré lors de l'entretien téléphonique entre John Kerry et Sergueï Lavrov et que les Etats-Unis étaient "au bord" d'une rupture des contacts bilatéraux avec la Russie sur le conflit syrien. Filant une métaphore médicale, le porte-parole Mark Toner a estimé que le processus diplomatique américano-russe était "maintenu en vie artificiellement bien qu'il ne soit pas encore mort". Affirmant que "les discussions se poursuivent", Mark Toner a expliqué qu'il demeurait encore assez de sujets de compromis entre Washington et Moscou pour ne pas renoncer au processus diplomatique pour l'instant. Ces sujets de compromis apparaissent cependant de plus en plus réduits. Le vice-ministre russe des Affaires étrangères, Mikhaïl Bognadov, a déclaré vendredi que les "allégations américaines" selon lesquelles Moscou bombarderait des positions de l'opposition modérée sont "sans fondement", selon des propos rapportés par l'agence de presse Ria. Le diplomate russe a par ailleurs estimé qu'une hypothétique livraison par les Etats-Unis de missiles sol-air portatifs à la rébellion syrienne serait "absolument contreproductive". (Avec Tom Perry, Angus McDowall, Lisa Barrington à Beyrouth, Eric Beech à Washington et Lidya Kelly à Moscou, Jean-Philippe Lefief et Pierre Sérisier pour le service français, édité par Gilles Trequesser)