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L'armée française veut se déployer dans les salles obscures

Le ministère des Armées signe mardi une première en scellant un accord avec la Guilde des scénaristes afin de renforcer sa coopération avec le cinéma français, à l'instar du Pentagone et de Hollywood, et de promouvoir l'image des armées à l'écran. /Photo d'archives/REUTERS/Kenzo Tribouillard

par Sophie Louet PARIS (Reuters) - Le ministère des Armées signe mardi une première en scellant un accord avec la Guilde des scénaristes afin de renforcer sa coopération avec le cinéma français, à l'instar du Pentagone et de Hollywood, et de promouvoir l'image des armées à l'écran. Depuis les attentats de 2015 à Paris, l'intérêt des réalisateurs et du grand public grandit pour les sujets de fiction liés à la Défense et à ses services, comme la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) avec la série de Canal+ "Le Bureau des Légendes" d'Eric Rochant. La fiction audiovisuelle est devenue "un outil potentiel de sensibilisation et de recrutement", concède-t-on au ministère. "On passe la surmultipliée. Au lieu de se contenter d'accueillir les réalisateurs sur nos sites pour leurs tournages, on va développer le conseil très en amont afin d'aider à des fictions plausibles", déclare Valérie Lecasble, directrice de la Délégation à l'information et à la communication de la Défense (Dicod). "Il y a beaucoup d'histoires sur le Renseignement ou les forces spéciales. Notre rôle, c'est aussi de montrer tout ce qu'on fait d'autre et proposer des sujets diversifiés." C'est Florence Parly qui signera cette convention mardi soir avec Pauline Rocafull, présidente de la Guilde des scénaristes, syndicat représentant quelque 300 scénaristes travaillant pour le cinéma, la fiction TV et l’animation. Les armées françaises ont usé dès la fin des années 30 du cinéma comme d'un outil de propagande ou de contre-propagande mais elles ont pris un net retard sur les forces américaines dans le maniement de ce désormais "soft power". Les historiens américains font remonter à 1915 et à "Naissance d'une nation", de D.W. Griffith, l'amorce des liens entre l'armée des Etats-Unis et Hollywood : des membres de l'Académie militaire de West Point avaient alors conseillé le réalisateur pour les scènes de la guerre de Sécession. 925 À 4.000 EUROS POUR UNE JOURNÉE DE TOURNAGE L'idée n'est pas de "s'américaniser", dans la représentation du héros militaire ou le prosélytisme anti-djihadiste, mais d'"inspirer" et de favoriser une description juste et non fantasmée de l'armée, dit-on de source militaire française. Il n'est toutefois pas rare que des soldats français, engagés nationalement ou sur des théâtres extérieurs, regrettent sous le sceau de l'anonymat le peu d'appétence du cinéma français pour l'héroïsme guerrier, dont Pierre Schoendoerffer, caméraman des armées en Indochine de 1952 à 1954, livra une vision naturaliste dans "La 317e section" (1964). Dans le sillage du succès de la série le "Bureau des Légendes", achetée par les Américains, l'ex-ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian avait lancé en mai 2016 une "Mission cinéma" au sein du ministère pour succéder au Bureau d'accueil des tournages, une instance qu'accueille chaque ministère. Outre la mise à disposition de bâtiments moyennant rémunération (une grille tarifaire de 2010 fixe de 925 à 4.000 euros une journée de tournage en Ile-de-France), le conseil, à titre gracieux, se développe. Le ministère, présent chaque année au Festival de Cannes, reçoit une centaine de demandes de tournage par an. "Depuis longtemps les armées américaines travaillent avec Hollywood de manière étroite. C'est ce type de relation de confiance, toutes proportions gardées, que nous souhaitons établir, conforter, développer", dit le chef de la Mission cinéma, Olivier-René Veillon. SOUS-MARIN NUCLÉAIRE Ainsi le diplomate Antonin Baudry, qui a cosigné la bande dessinée "Quai d'Orsay" et écrit le scénario du film éponyme sur ses années au côté de Dominique de Villepin au ministère des Affaires étrangères, fait-il ses premières armes de réalisateur avec l'appui logistique de l'armée. Son long-métrage, "Le Chant du loup", annoncé en salles en 2018, est un film d'action tourné en partie à Toulon et Brest avec Omar Sy et Mathieu Kassowitz qui se déroule dans le milieu des sous-marins nucléaires, la "force océanique stratégique". "Nous les avons accompagnés depuis le début, pour les décors, la préparation : on a embarqué par exemple l'équipe du film à bord d'un sous-marin", rapporte Valérie Lecasble. La comédienne Hélène Fillières achève pour sa part le montage de son deuxième film, "Volontaire", qu'elle a réalisé avec l'appui de la marine à propos d'une jeune fille, Laura, 22 ans, qui décide de s'engager dans les fusiliers marins. Aux Etats-Unis, le département de la Défense et la CIA ont accentué dès les attentats du 11 septembre 2001 la dimension politique des films de guerre hollywoodiens en apportant matériels, conseils et entraînements aux réalisateurs. Pour "La Chute du faucon noir" de Ridley Scott (2002), qui narre la débâcle américaine à Mogadiscio en octobre 1993, les acteurs s'étaient entraînés au maniement des armes avec des membres des forces spéciales, et l'armée avait fourni hélicoptères et blindés. Ce que l'armée française peut aussi faire si les moyens n'ont pas "de vocation opérationnelle". "Le sentiment que nous avons - et en cela nous sommes proches de nos amis américains - c'est que mieux on apporte une contribution utile aux créateurs, plus le traitement qu'ils vont être amenés à faire, aussi critique soit-il, sera de qualité", juge Olivier-René Veillon. Fructueuse en termes d'image, cette coopération avec le septième art le sera aussi financièrement pour la Défense, en quête de recettes dans un contexte budgétaire contraint. (Edité par Yves Clarisse)