L'armée birmane accusée de meurtres et de viols de Rohingyas

L'armée birmane a commis des meurtres et des viols à l'encontre des Rohingyas, des musulmans qui vivent dans le nord-ouest du pays, dans le cadre d'une opération qui s'apparente à des crimes contre l'humanité. /Photo prise le 21 novembre 2016/REUTERS/Mohammad Ponir Hossain

par Stephanie Nebehay GENEVE (Reuters) - L'armée birmane a commis des meurtres et des viols à l'encontre des Rohingyas, des musulmans qui vivent dans le nord-ouest du pays, des faits s'apparentant à des crimes contre l'humanité, dit le Haut Commissariat de l'Onu aux droits de l'homme. Des témoins interrogés par les enquêteurs de l'Onu pour un rapport publié vendredi évoquent le meurtre d'enfants de tous âges, y compris de bébés, de femmes et de personnes âgées. Le rapport fait état de villages entiers incendiés, de "viols et violences sexuelles massifs et systématiques". Les quatre enquêteurs, qui s'appuient sur les témoignages de 220 Rohingyas, victimes et témoins, ayant fui la zone bouclée par l'armée à Maungdaw, dans le nord de l'Etat d'Arakan, parlent de "centaines de morts". Une femme a raconté comment son bébé de huit mois a eu la gorge tranchée. Une autre comment elle a été violée par des militaires et sa fille de cinq ans tuée sous ses yeux. Les enquêteurs ont pris des photos des blessures subies, par balle et à l'arme blanche, mais aussi de brûlures et traces de coups. Depuis le lancement par l'armée birmane d'une opération de sécurité en réponse à des attaques contre des postes frontières de la police le 9 octobre, quelque 66.000 Rohingyas ont fui le nord de l'Etat d'Arakan où ils vivent en majorité, pour le Bangladesh voisin, indique le rapport. "Les opérations en 'zone de nettoyage' se sont vraisemblablement traduites par des centaines de morts", dit le rapport, qui évoque des tirs effectués à partir d'hélicoptères survolant les villages et le lancement de grenades. Les attaques contre les Rohingyas semblent avoir été généralisées, "ce qui indique la très probable commission de crimes contre l'humanité", lit-on dans le document. Environ 1,1 million de Rohingyas vivent dans des conditions proches de l'apartheid en Arakan, Etat à majorité bouddhiste. Leur sort est l'objet de frictions récurrentes entre la Birmanie et le Bangladesh. La Birmanie, pays majoritairement bouddhiste dont la prix Nobel de la paix Aung San Suu Kyi est la dirigeante de fait, se défend de violer les droits de l'homme dans l'Arakan et explique qu'il s'agit d'une campagne légale de lutte contre l'insurrection. Les journalistes indépendants et les observateurs n'ont pas accès à la zone de conflit. NETTOYAGE ETHNIQUE Les témoignages vont dans le sens d'"une persécution pour des raisons ethniques qui ressemblent à ce qui a été décrit, dans des contextes différents, comme du 'nettoyage ethnique'", a déclaré la chef de la mission de l'Onu, Linnea Arvidsson, lors d'une conférence de presse. "Ce qui a été découvert et la gravité de la situation sont si rudes que quelque chose doit être fait, du point de vue de la responsabilité, mais, avant tout, pour que la violence cesse." Selon Linnea Arvidsson, le Conseil des droits de l'homme de l'Onu pourrait en référer au Conseil de sécurité des Nations unies, qui pourrait ensuite transmettre le dossier à la Cour pénale internationale (CPI). Le Haut Commissaire des Nations unies aux droits de l'homme, le prince Zeid Ra'ad Zeid Al-Hussein, a appelé la communauté internationale à réagir avec énergie face à cette "cruauté insupportable" et a demandé à la Birmanie de faire face à ses responsabilité pour ces graves violations des droits de l'homme. Il a dit s'être entretenu avec Aung San Suu Kyi vendredi et lui avoir demandé de faire pression sur l'armée et les forces de l'ordre "pour mettre un terme à cette opération". La prix Nobel a promis l'ouverture d'une enquête mais a dit qu'il y aurait besoin d'informations supplémentaires. La Malaisie, pays où l'islam est majoritaire, a annoncé vendredi l'envoi d'un navire transportant 2.200 tonnes de nourriture et biens de première nécessité pour les Rohingyas. Une première cargaison de 500 tonnes devrait être livrée à Rangoun le 9 février, la principale ville birmane. La Birmanie n'ayant pas autorisé le navire à se rendre à Sittwe, la capitale de l'Arakan, le bâtiment devrait ensuite poursuivre sa route pour le port de Teknaf, au Bangladesh, où se trouvent de nombreux réfugiés rohingyas. Mais le Bangladesh a décidé de ne pas l'autoriser à accoster à Teknaf, indique le ministère malaisien des Affaires étrangères dans un communiqué, sans autre précision. Le Premier ministre malaisien, Najib Razak, qui ne ménage pas ses critiques à envers la Birmanie bouddhiste pour le sort réservé aux Rohingyas musulmans, a appelé le gouvernement birman à cesser ses opérations. Le Bangladesh a fait savoir mercredi qu'il comptait déplacer les Rohingyas qui fuient la violence en Birmanie dans une île du golfe du Bengale. Cette île serait inhabitable, selon certains observateurs. Le Bangladesh fait valoir que ce serait temporaire et que les Rohingyas ont vocation à retourner en Birmanie. (Avec Wa Lone à Rangoun et Rozanna Latiff à Kuala Lumpur, Danielle Rouquié pour le service français, édité par Gilles Trequesser)