L'Ethiopie revendique une victoire dans le Tigré, des massacres dénoncés
par Giulia Paravicini
ADDIS ABEBA (Reuters) - Le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed a affirmé jeudi que l'armée nationale avait engrangé d'importants gains territoriaux face aux forces de la région du Tigré, accusant ces dernières de s'être livrées à des atrocités.
Amnesty International a pour sa part fait état d'un massacre de paysans, peut-être des centaines, tués à la machette et l'ONG a cité des témoins en attribuant la responsabilité aux troupes locales du Front de libération du peuple du Tigré (TPLF).
"La région occidentale du Tigré a été libérée", a écrit Abiy Ahmed sur Twitter. "Dans ces zones libérées, l'armée apporte à présent une assistance et des services humanitaires. Elle nourrit aussi la population."
Son ministre de la Défense, Kenea Yadeta, a indiqué que le gouvernement fédéral installerait une administration provisoire dans les régions reprises. Il a ajouté que "les forces de défense traduiraient cette junte criminelle en justice en un rien de temps".
Le TPLF, de son côté, a déclaré l'état d'urgence au niveau local contre ce qu'il a qualifié d'"invasion par des étrangers".
Les combats et les frappes aériennes dans cette région montagneuse du nord de l'Ethiopie, frontalière de l'Erythrée et du Soudan, ont fait des centaines de morts et poussé, selon l'Onu, plus de 11.000 personnes, dont la moitié sont des enfants, à se réfugier au Soudan depuis le début du mois.
Le Premier ministre a déclaré que des soldats appartenant aux forces gouvernementales avaient été retrouvés morts dans la ville de Sheraro, tués par balle avec les bras attachés dans le dos. "Une telle cruauté est déchirante", a-t-il dénoncé, sans fournir de preuves ni indiquer le nombre de corps retrouvés.
Les communications étant coupées et les médias interdits dans le Tigré, il n'a pas été possible de vérifier les affirmations du Premier ministre. Le TPLF, qui accuse les troupes gouvernementales d'être "impitoyables", n'a pas répondu dans l'immédiat aux demandes de commentaires.
PÉNURIE ALIMENTAIRE
Dans un rapport aux détails macabres, Amnesty a pour sa part fait état d'une tuerie dans la localité de Mai Kadra dans le sud-ouest du Tigré. Des témoins ont décrit des cadavres présentant des plaies béantes apparemment provoquées par des machettes ou des couteaux.
"Amnesty International n'a pas encore été en mesure de confirmer la responsabilité de ces meurtres mais a parlé à des témoins ayant dit que les forces fidèles au TPLF étaient responsables de cette tuerie de masse, apparemment après avoir été défaites par les forces fédérales", écrit l'organisation, qui évoque une "horrible tragédie".
Les combats au Tigré ont ravivé les divisions ethniques de l'Ethiopie et terni l'image d'Abiy Ahmed. A 44 ans, le plus jeune dirigeant africain a reçu l'an dernier le prix Nobel de la paix pour avoir contribué au règlement du conflit avec l'Erythrée.
Abiy Ahmed accuse le TPLF d'avoir déclenché les hostilités en attaquant une base de l'armée fédérale et en défiant son autorité. Les Tigréens de leur côté dénoncent l'oppression et les discriminations dont ils se disent victimes.
L'Etat du Tigré compte environ 5 millions d'habitants et la situation humanitaire était déjà difficile avant le conflit, quelque 600.000 personnes dépendant d'une aide alimentaire.
Ann Encontre, représentant de l'agence de l'Onu pour les réfugiés (HCR) en Ethiopie, a déclaré à Reuters que des discussions étaient en cours avec les deux parties pour obtenir l'ouverture de "couloirs humanitaires".
"On signale l'apparition de pénuries de produits de première nécessité, affectant d'abord les plus vulnérables", souligne le Bureau de l'Onu de coordination des affaires humanitaires (OCHA), ajoutant que les agences humanitaires sont dans l'incapacité de reconstituer leurs stocks d'aliments, de médicaments et autres produits d'urgence dans le Tigré.
Le Parlement éthiopien a par ailleurs levé l'immunité parlementaire d'une quarantaine de ses membres, dont le président de l'exécutif régional du Tigré, Debretsion Gebremichael.
Quelque 242 personnes soupçonnées de préparer pour le compte du TPLF des "attaques terroristes" ont été arrêtées à Addis-Abeba et dans d'autres lieux du pays, a annoncé pour sa part la cellule de crise "Etat d'urgence" créée récemment par le gouvernement.
<^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^
CARTE (en anglais) https://graphics.reuters.com/ETHIOPIA-CONFLICT/yzdvxkyewpx/ethiopia-tigray-conflict.jpg
^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^>
(Giulia Paravicini et Kumerra Gumechu à Addis-Abeba, avec Khalid Abdelaziz à Khartoum et Nazanine Moshiri à Nairobi, Aidan Lewis et Nadine Awadalla au Caire; version française Henri-Pierre André, Claude Chendjou et Bertrand Boucey, édité par Blandine Hénault et Jean-Michel Bélot)