Publicité

Largement réélu, Poutine se montre plus conciliant avec l'Occident

par Andrew Osborn et Christian Lowe

MOSCOU (Reuters) - Vladimir Poutine a adopté lundi un ton un peu plus conciliant vis-à-vis des Occidentaux après avoir remporté la veille sa victoire la plus nette à une élection présidentielle en Russie, affirmant n'avoir aucun désir de se lancer dans une course aux armements et vouloir aplanir les divergences avec ses partenaires.

Réélu sans surprise pour un nouveau mandat de six ans, à un moment où les relations entre Moscou et l'Occident ne cessent de se dégrader, l'ancien espion du KGB, au pouvoir depuis 2000, pourrait ainsi passer près d'un quart de siècle à la tête du pays en tant que président ou lors de sa brève parenthèse de Premier ministre (2008-2012). Seul le dirigeant soviétique Joseph Staline a gouverné plus longtemps.

Le président russe, réélu à 65 ans, a saisi l'occasion d'une rencontre avec ses rivaux qu'il a largement défaits pour affirmer son intention de se consacrer davantage aux questions domestiques qu'aux affaires internationales. Il a manifesté la volonté d'augmenter le niveau de vie de ses compatriotes, l'investissement dans l'éducation, la santé et les infrastructures et réduire des dépenses militaires.

"Personne ne prévoit d'accélérer la course aux armements", a-t-il déclaré. "Nous ferons tout pour résoudre toutes nos divergences avec nos partenaires en utilisant les voies diplomatiques et politiques."

Ce changement de ton risque d'être accueilli avec un certain scepticisme en Occident après les accents bien plus va-t-en guerre de la campagne électorale au cours de laquelle Vladimir Poutine a dévoilé de nouvelles armes nucléaires capables, selon lui, de frapper partout dans le monde.

"PAS DE CHOIX VÉRITABLE"

Pour ses partisans, Vladimir Poutine est la figure du père de la nation, celui qui a restauré la fierté nationale et développé l'influence internationale de la Russie avec ses interventions en Syrie et l'annexion de la Crimée en mars 2014.

Il affiche des positions très opposées à celle des pays occidentaux, notamment sur la Syrie, où son soutien à partir de septembre 2015 a permis au président syrien Bachar al Assad de prendre l'avantage dans la guerre civile qui déchire son pays.

Il est également soupçonné d'ingérence dans l'élection présidentielle américaine de 2016 et d'avoir commandité l'empoisonnement d'un ancien agent double russe et de sa fille, retrouvés inconscients début mars à Salisbury, dans le sud de l'Angleterre.

Alors que la quasi-totalité des bulletins ont été dépouillés, la Commission centrale électorale a annoncé que Vladimir Poutine avait remporté le scrutin avec 76,69% des suffrages, soit plus de 56 millions de voix, la victoire la plus nette jamais remportée par un président depuis d'effondrement du régime soviétique.

L'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) a déclaré que le scrutin n'avait pas permis d'offrir aux électeurs un véritable choix.

"Un choix sans réelle compétition, comme nous l'avons vu ici, n'est pas un véritable choix", déclare l'OSCE, dans un communiqué.

La commission électorale centrale a reconnu quelques irrégularités dans le scrutin de dimanche mais elle devrait avaliser le résultat définitif.

Soutenu par la télévision d'Etat et par le parti au pouvoir, Russie unie, crédité d'une cote de popularité de quelque 80%, la victoire du maître du Kremlin n'a jamais fait de doute.

Aucun des sept candidats autorisés à présenter contre lui ne constituait une véritable menace.

Son plus proche adversaire, le communiste Pavel Groudinine, n'a obtenu que 11,8% des voix. L'ultranationaliste Vladimir Jirinovski n'en a réuni que 5,6%.

Interdit de candidature, l'opposant et blogueur Alexeï Navalny, qui avait appelé à boycotter les urnes, a demandé à ses partisans de ne pas perdre espoir et a dit être parvenu à faire baisser la participation obligeant les autorités à falsifier les résultats.

QUELLE STRATÉGIE DE SORTIE ?

Les derniers résultats disponibles font état d'une participation de 67,7%, un peu en dessous de l'objectif de 70% que se serait fixé le Kremlin, selon des médias russes.

Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a rejeté l'idée que les tensions avec l'Occident auraient contribué à mobiliser les électeurs. Il a déclaré que le résultat démontrait que les Russes étaient unis derrière le projet présidentiel pour le développement du pays.

Il a ajouté que Vladimir Poutine consacrerait sa journée à répondre aux félicitations de dirigeants étrangers, à rencontrer ses partisans et à recevoir ses rivaux.

Son homologue chinois Xi Jinping a été l'un des premiers chefs d'Etat étrangers à le féliciter pour sa réélection.

Emmanuel Macron, l'un des rares dirigeants occidentaux à l'avoir appelé, a redit les exigences de la France concernant la Syrie, l'Ukraine et l'attaque de Salisbury, a annoncé lundi l'Elysée dans un communiqué qui ne fait pas état de félicitation adressée directement par le président français à son homologue.

La Russie va demeurer un partenaire difficile pour l'Union européenne, a estimé de son côté le chef de la diplomatie allemande, Heiko Maas, avant une rencontre des ministres des Affaires étrangères des Vingt-Sept à Bruxelles.

La durée du maintien de Vladimir Poutine au pouvoir demeure incertaine et la possibilité qu'il n'aille pas au bout de son nouveau mandat a même été évoquée par certains observateurs.

La Constitution russe limite l'exercice de la fonction présidentielle a deux mandats consécutifs et Vladimir Poutine ne devrait donc pas être en mesure de se représenter en 2024.

Prié de dire après sa réélection s'il pourrait briguer un nouveau mandat à l'avenir, il a opté pour la dérision.

"Faisons les comptes. Quoi, vous pensez que je vais rester (au pouvoir) jusqu'à ce que j'aie 100 ans?", a-t-il dit qualifiant la question de "cocasse."

Si Vladimir Poutine dispose de six ans, en théorie, pour désigner un éventuel successeur, l'incertitude sur son propre avenir est un facteur potentiel d'instabilité.

Le pouvoir russe, loin d'être monolithique, est partagé entre différentes factions aux intérêts parfois divergents que l'hôte du Kremlin est parvenu jusqu'ici à contrôler et à concilier.

"Plus il reste au pouvoir, plus la sortie sera difficile", a commenté Andreï Kolesnikov, du Centre Carnegie de Moscou, un groupe de réflexion. "Ce système, c'est avant tout SON système, et ce n'est pas évident de lâcher les rênes..."

(avec Denis Pichuk, Maria Kiselyova, Ben Blanchard à Pékin, Alastair Macdonald et Robin Emmot à Bruxelles, Jean-Baptiste Vey, Danielle Rouquié et Marc Joanny pour le service français, édité par Bertrand Boucey)