L'ANC grande favorite des élections en Afrique du Sud

par Stella Mapenzauswa JOHANNESBURG (Reuters) - Le Congrès national africain (ANC), au pouvoir depuis la fin de l'apartheid en Afrique du Sud il y a 20 ans, se dit certain de remporter une large victoire lors des élections législatives de mercredi, malgré les scandales de corruption et les difficultés économiques qui l'ont fragilisé ces dernières années. Un sondage Ipsos publié dimanche par le Sunday Times crédite de fait l'ANC, orphelin de son plus illustre membre, l'ancien président et fondateur de la "nation arc-en-ciel" Nelson Mandela, mort en décembre à l'âge de 95 ans, de 63,9% des intentions de vote. Un tel score lui permettrait d'approcher sa performance de 2009, où il avait recueilli 65,9% des voix, et assurerait au président Jacob Zuma d'être réélu par le Parlement pour un second mandat de cinq ans, malgré la récente affaire d'abus de fonds publics qui l'a éclaboussé. Aucun parti d'opposition ne semble en mesure de contester l'hégémonie du mouvement qui règne sans partage sur la politique sud-africaine depuis 20 ans, ni de capitaliser sur la grogne populaire face aux problèmes d'accès au logement, à la santé, à l'éducation ou à l'emploi. L'Alliance démocratique (AD), qui a porté plainte contre Zuma à la suite des travaux d'un montant d'environ 15 millions d'euros réalisés dans sa résidence personnelle, est certes en progression avec 23,7% des intentions de vote, selon Ipsos, contre 16,7% il y a cinq ans. Cela semble toutefois insuffisant pour que se produise l'électrochoc électoral que ses dirigeants appellent de leurs voeux. "L'ANC est devenu arrogant parce qu'il croit que les gens vont continuer à voter pour lui, quoi qu'il fasse. Il va subir un gros choc mercredi", a pourtant promis samedi la chef du parti, Helen Zille. "BÉTAIL ÉLECTORAL" Face à la montée du mécontentement de la population noire, le socle de son électorat, l'ANC a promis de mettre l'accent au cours des prochaines années sur l'amélioration de l'éducation et des services de santé, le développement des zones rurales, les réformes agraires, la lutte contre la criminalité, les créations d'emplois et la lutte contre les inégalités. Dimanche, lors de son dernier meeting électoral, Jacob Zuma, vêtu aux couleurs jaune-vert-noir du parti, s'est montré très confiant. "Nous serons victorieux le 7 mai!", a-t-il dit devant des dizaines de milliers de ses partisans réunis dans un stade de Johannesburg. "L'ANC a l'envergure historique, l'expérience, la volonté politique, la capacité et la détermination à (...) faire avancer l'Afrique du Sud." Les promesses du président sud-africain peinent à convaincre ses compatriotes, à commencer par l'archevêque retraité Desmond Tutu, une des grandes figures de la lutte contre l'apartheid, qui a annoncé le mois dernier que pour la première fois, il ne voterait pas pour l'ANC. "Je le dis le coeur lourd", a dit le compagnon de combat de Nelson Mandela, dont il a salué la mémoire ainsi que celle des autres vétérans de lutte pour la démocratie, dont les dirigeants actuels n'ont, selon lui, "pas l'envergure". "Réfléchissez! Ne votez pas à la légère. Ne vous transformez pas en bétail électoral", a demandé Desmond Tutu aux électeurs. "VOTEZ NON" Ce message pourrait convaincre certains déçus de l'ANC, en particulier les jeunes qui manifestent presque quotidiennement dans les townships pour dénoncer les défaillances de l'Etat en lançant des pierres, incendiant des bâtiments et bloquant les routes. Neuf d'entre d'eux ont été tués par la police depuis le début de l'année, onze autres l'an dernier. La plupart de ces jeunes désabusés se disent cependant davantage tentés par l'abstention que par un vote alternatif faute, résume Kevin Varion, un ouvrier de 22 ans, "de trouver quelqu'un pour qui voter". Pour tenter de lutter contre ce phénomène, deux dissidents de l'ANC, l'ex-ministre du Renseignement Ronnie Kasrils et l'ancienne vice-ministre de la Santé Nozizwe Madlala-Routledge, ont initié la campagne "Votez Non" en appelant les électeurs à glisser des bulletins nuls dans l'urne. "Nos dirigeants doivent comprendre qu'il y a de plus en plus de gens mécontents dans notre pays", a expliqué Nozizwe Madlala-Routledge. "Nous appelons tous les Sud-Africains à voter le 7 mai pour utiliser ce droit démocratique pour lequel des gens sont morts, utiliser leur droit à dire ce qu'ils pensent de nos dirigeants." À court terme, la suprématie électorale du Congrès africain ne devrait pas pour autant être menacée, d'autant que sous la présidence de Jacob Zuma, un Zoulou attaché aux traditions de son peuple, y compris la polygamie, il a marqué des points auprès de l'électorat du premier groupe ethnique du pays - 28% des 53 millions d'habitants. "NÉS LIBRES" Dans la province orientale du Kwazulu-Natal dominée à la fin de l'apartheid par son grand rival, l'Inkatha Freedom Party, aujourd'hui marginalisé (3% des intentions de vote, selon Ipsos), l'ANC a concentré ses efforts dans les régions rurales jusqu'alors délaissées. Entre 2001 et 2011, il y a ainsi doublé le nombre de logements en dur, alors qu'il n'a augmenté que d'un tiers dans la province voisine du Cap oriental, bastion électoral de l'ANC et terre natale de Nelson Mandela. Le pouvoir a aussi désenclavé nombre de villages zoulous en construisant des routes goudronnées, favorisé l'emploi dans le secteur touristique en créant le parc national d'iSimangaliso ou encore pratiquement éradiqué le paludisme, qui affectait 40.000 personnes par an dans les années 1990. À moyen terme, la plus grande menace pour l'ANC pourrait venir d'une nouvelle génération d'électeurs, les "nés libres" ("born free") qui n'ont jamais connu le régime d'apartheid, fonds de commerce du parti au pouvoir. Pour eux, la priorité est l'amélioration des conditions de vie et la frustration croissante face à une société toujours très inégalitaire - une enquête a montré l'an dernier que 42% des Noirs vivent dans la pauvreté, contre 1% des Blancs - et un chômage bloqué à 25% par une économie qui n'a pas renoué avec une croissance soutenue depuis la récession de 2009. L'ancien leader du mouvement de la jeunesse de l'ANC, Julius Malema, l'a bien senti en créant un parti très marqué à gauche, "Les Combattants de la liberté économique". Il a fait campagne pour la nationalisation des mines, théâtres de nombreuses grèves ces dernières années, dont celle de la mine de platine de Marikana qui s'était soldée par la mort de 34 grévistes, abattus par la police, en 2012, pour l'instauration d'un salaire minimum et pour la gratuité de l'école. Pour leur premier test électoral, ses "Combattants" sont crédités de 4,7% des intentions de vote. (Avec le bureau de Johannesburg; Tangi Salaün pour le service français, édité par Henri-Pierre André)