L'AME attire-t-elle les étrangers, comme le laissent entendre la droite et l'extrême droite ?

Régulièrement dans le viseur de LR et du RN, l'Aide Médicale d'État est-elle réellement une "pompe aspirante de l'immigration" comme l'affirme le parti d'extrême droite ?

Plusieurs personnalités de droite et d'extrême droite affirment que l'AME est un motif d'immigration en France. (Photo : Arnaud Le Vu / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP)

Parmi les sujets des tractations actuelles entre les macronistes, la droite et l'extrême droite, il s'agit peut-être du plus clivant. Depuis la nomination de Michel Barnier comme Premier ministre il y a un peu plus d'une semaine, l'Aide Médicale d'État (AME) est revenue sur le devant de la scène médiatique.

Arguant que la suppression de ce dispositif figurait en 2021 dans le programme de Michel Barnier, alors candidat à l'investiture des Républicains (LR) pour l'élection présidentielle de 2022, certaines figures de ce parti ont récemment plaidé pour une transformation profonde de l'AME, à l'image de la vice-présidente de l'Assemblée nationale, Annie Genevrard.

Cette proposition a toutefois été rejetée en bloc par le camp présidentiel. Députée macroniste de la 2e circonscription des Français établis hors de France, Eléonore Caroit a ainsi affirmé qu'elle se "battrai(t) pour que l'aide médicale d'État soit maintenue", tandis qu'Édouard Philippe, président du parti Horizons membre de la coalition présidentielle, a jugé que supprimer l'AME serait "une très mauvaise idée".

À l'inverse, s'engager à réformer l'AME pourrait permettre au futur gouvernement Barnier d'être soutenu par le Rassemblement National (RN), qui a fait de ce sujet l'un de ses chevaux de bataille depuis des années. La suppression du dispositif figurait en effet dans le programme de Marine Le Pen en 2022, puis dans celui de Jordan Bardella pour les législatives 2024.

Depuis plusieurs années déjà, la droite et l'extrême droite justifient leur focalisation sur le sujet de l'AME en assurant que l'existence de cette dernière aurait pour effet d'attirer en France des étrangers désireux d'en profiter. Il y a quelques années, l'eurodéputé RN Jean-Paul Garraud l'avait même qualifiée de "pompe aspirante de l’immigration illégale".

Mais qu'en est-il réellement ? Est-il exact de dire qu'une majorité des étrangers arrivant en situation irrégulière en France ont pour intention de "profiter" de l'AME ? Les différentes études disponibles sur le sujet semblent en tout cas démentir ce présupposé.

Ces dernières années, l'AME a ainsi fait l'objet de plusieurs rapports successifs, réalisés sous la direction de différents organismes. En 2019, trois haut fonctionnaires de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) et trois autres de l'Inspection générale des finances (IGF) avaient par exemple planché sur le sujet.

Parmi les observations consignées dans leur rapport intitulé "L’aide médicale d’État : diagnostic et propositions", les auteurs avaient notamment relevé que "la typologie médicale des bénéficiaires de l’AME et des soins urgents, évaluée sur un échantillon hospitalier, suggère de nombreux cas de migration pour soins".

Si cette formulation pourrait laisser entendre que l'AME constitue en soi un motif d'immigration en France, un autre rapport plus récent tend à montrer que ce raccourci est inexact et que la situation est en réalité beaucoup plus complexe. Commandé par quatre ministres du gouvernement d'Élizabeth Borne, celui-ci avait été réalisé par l'ancien ministre PS Claude Evin et par l'ancien membre du Conseil d'État Patrick Stefanini, membre de LR.

Dans son diagnostic général sur l'AME, le rapport en question indiquait ainsi que cette dernière constituait seulement "un facteur parmi de nombreux autres déterminants de la migration". Les nombreuses auditions effectuées par les auteurs du rapport les ont en effet menés à la conclusion que ce dispositif "n’apparaît pas comme un facteur d’attractivité pour les candidats à l’immigration".

"Si la comparaison des conditions d’accès aux soins pour les étrangers en situation irrégulière en Europe occidentale se révèle délicate, et ne permet pas de conclure à l’existence d’un facteur d’attractivité de nature à orienter vers la France les flux migratoires, les auditions que la mission a réalisées invitent à la même conclusion", affirme ainsi le texte remis au gouvernement le 4 décembre 2023.

Dans le même rapport, les auteurs évoquaient une proportion de "9,5 %" de bénéficiaires de l'AME qui seraient "venus (en France) pour un motif lié à la santé". Ce chiffre provenait d'une étude réalisée en 2019 par l'Institut de recherche et de documentation en économie de la santé (IRDES) et portant sur un panel de 1083 personnes en situation irrégulière (uniquement majeures) résidant à Paris et sur l’agglomération bordelaise.

Il serait toutefois trompeur d'assimiler ces "motifs liés à la santé" à une volonté délibérée de profiter de l'AME. "On a parlé avec l'auteur de cette étude de 2019, qui nous a expliqué que ces personnes viennent parce que notre système de santé est bon, mais que presque personne n'a connaissance de l'AME et de la gratuité des soins", explique ainsi la journaliste de Franceinfo Julie Calderon.

Invité sur le plateau de BFM TV quelques jours après la publication de son rapport, Patrick Stefanini avait d'ailleurs assuré qu'il était convaincu "qu'on n'immigre pas en France pour bénéficier de l'AME". "On immigre en France parce qu'on connaît quelqu'un dans la diaspora de son pays d'origine qui est installé en France, qu'on sait qu'on pourrait y recevoir une aide, qu'on est francophone, qu'on vient d'un pays qui était autrefois une colonie française...", avait ensuite énuméré le conseiller d'État honoraire, battant en brèche un préjugé qui semble solidement ancré au sein de sa famille politique, ainsi que dans les rangs du RN.