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Tension accrue entre Berlin et Ankara

La Turquie a accusé Berlin d'adopter une politique de "deux poids, deux mesures" à son égard, vendredi, au lendemain de l'annulation d'un meeting de son ministre de la Justice, Bekir Bozdag (à gauche), dans une ville du sud-ouest de l'Allemagne. /Photo prise le 17 octobre 2016/REUTERS/Murad Sezer

par Tulay Karadeniz ANKARA (Reuters) - Les dirigeants turcs ont critiqué l'Allemagne vendredi après l'annulation de réunions électorales auxquelles devaient participer des ministres venus d'Ankara et ont accusé Berlin d'abriter les ennemis de la Turquie. Alors que le ton montait entre les deux pays, le président turc Recep Tayyip Erdogan a déclaré que le journaliste turco-allemand Deniz Yücel, détenu en Turquie, était "un agent allemand" et un membre d'un groupe armé kurde. "Absurde", a-t-on réagi vendredi soir au ministère allemand des affaires étrangères. Auparavant, les commentaires du ministre turc de la Justice, Bekir Bozdag, qui devait s'exprimer devant la communauté turque allemande à Gaggenau, près de la frontière française, avant que cette réunion ne soit annulée jeudi, étaient déjà révélateurs de la tension entre les deux pays. Le ministre tenir une réunion où il devait faire la promotion du référendum constitutionnel prévu en avril pour introduire en Turquie un régime présidentiel. La communauté turque allemande est estimée à 1,5 million de personnes. "Qu'ils se penchent un peu sur leur histoire. Leurs maux anciens remontent à la surface. Ils feraient mieux de s'occuper de soigner leurs propres maladies", a déclaré Bekir Bozag. "L'Allemagne est devenue le refuge de tous ceux qui commettent des crimes contre la Turquie, le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), le Feto (Mouvement du prédicateur Fethullah Gülen), le DHKP-C (organisation d'extrême gauche). Ceux qui ont commis le coup d'Etat et tous ceux qui commettent des crimes contre la Turquie ont fui là-bas." "DÉCISION SCANDALEUSE" "C'est une décision scandaleuse qui va à l'encontre des usages diplomatiques", a-t-il ajouté. Vendredi, l'hôtel de ville de Gaggenau a été évacué à la suite d'une alerte à la bombe. Deux autres rassemblements auxquels devait participer le ministre turc de l'Economie, Nihat Zeybecki, dimanche à Cologne et dans la ville voisine de Frechen, ont également été annulés. Nihat Zaybecki a dit qu'il comptait toujours se rendre en Allemagne et qu'il irait "de café en café, de maison en maison". "Que personne ne s'inquiète : nous verrons nos ressortissants en Allemagne", a ajouté le ministre de l'Economie. La chancelière Angela Merkel a réagi de Tunis où elle se trouvait en visite officielle, en soulignant que ces interdictions relevaient des autorités municipales et non du gouvernement fédéral. Elle a réitéré ses critiques de l'arrestation de Deniz Yücel, qui est correspondant du quotidien allemand Die Welt en Turquie. "Nous soutenons la liberté d'expression et nous nous autorisons à critiquer la Turquie", a-t-elle dit aux journalistes qui l'accompagnaient. Le ministère allemand des Affaires étrangères a demandé à Ankara de s'abstenir de "mettre de l'huile sur le feu". Le président turc Recep Tayyip Erdogan, qui s'exprimait d'Ankara, a estimé que la montée des tensions entre les deux pays n'était pas liée à l'arrestation du journaliste, mais au soutien apporté par l'Allemagne aux ennemis de la Turquie. "Ce n'est pas parce qu'un correspondant de Die Welt a été arrêté", a dit le président turc. "C'est parce cette personne s'est cachée pendant un mois dans l'ambassade d'Allemagne en tant que membre du PKK et agent allemand. Quand nous leur avons dit de nous le remettre pour qu'il soit jugé, ils ont refusé." "QU'ILS SOIENT JUGÉS" "Donc, ils ne laisseront pas parler notre ministre de la Justice et notre ministre de l'Economie", a déclaré Erdogan lors d'une remise de récompenses à Istanbul. "Il faut qu'ils soient jugés pour aide et incitation au terrorisme", a-t-il ajouté. Le gouvernement néerlandais a lui aussi exprimé vendredi son opposition à la tenue de réunion aux Pays-Bas relatives à la campagne pour le référendum. Une réunion publique est prévue à Rotterdam le 11 mars en présence du ministre turc des Affaires étrangères, Mevlut Cavusoglu. Le chef de la diplomatie turque, Mevlut Cavusoglu, dont le ministère avait annoncé jeudi la convocation de l'ambassadeur d'Allemagne à Ankara, a dit vendredi à des journalistes en termes vifs ne pas pouvoir tolérer un tel revirement. "Les dirigeants allemands nous ont dit que si des ministres turcs vont en Allemagne, ils doivent s'entretenir avec des ministres allemands. Devant de telles pressions, nous ne parlerons pas avec vous", a tempêté Mevlut Cavusoglu. "Si vous voulez conserver de bonnes relations avec nous, vous allez devoir apprendre à bien vous comporter", a-t-il menacé, promettant une "réponse adaptée si nécessaire". De sources proches de son ministère, on rapporte toutefois qu'il a prévu de rencontrer son homologue allemand, Sigmar Gabriel, mercredi prochain en Allemagne pour discuter des tensions entre les deux pays. Les relations entre Berlin et Ankara ont déjà mises à mal par les purges effectuées par le gouvernement turc après le putsch manqué du 15 juillet dernier et l'ouverture d'une enquête en Allemagne sur des soupçons d'espionnage par des imams turcs. (Avec Andrea Shalal à Berlin, Andreas Rinke à Tunis et Tuvan Gumrukcu à Ankara; Tangi Salaün, Nicolas Delame, Gilles Trequesser et Danielle Rouquié pour le service français)