La Turquie expulse des Marocains, montre l'Afrique du doigt

Istanbul. La Turquie a ordonné jeudi l'expulsion d'un groupe de huit Marocains qui étaient retenus à l'aéroport d'Istanbul-Atatürk pour des liens présumés avec l'Etat islamique et prévenu d'une menace croissante de djihadistes venus d'Afrique. /Photo d'archives/REUTERS/Murad Sezer

par Orhan Coskun et Nick Tattersall ISTANBUL (Reuters) - La Turquie a ordonné jeudi l'expulsion d'un groupe de huit Marocains qui étaient retenus à l'aéroport d'Istanbul-Atatürk pour des liens présumés avec l'Etat islamique (EI) et prévenu d'une menace croissante de djihadistes venus d'Afrique. Les huit, arrivés de Casablanca mardi soir, ont dit avoir eu l'intention de passer des vacances à Istanbul. Ils ont été retenus dans les locaux de la police des frontières et interrogés par des spécialistes du profilage qui ont considéré qu'ils étaient vraisemblablement des islamistes, dit-on dans l'entourage du gouvernement. La Turquie, dont la frontière avec la Syrie court sur 900 km, est un des grands points d'entrée pour les djihadistes en provenance d'Europe et d'Afrique du Nord qui souhaitent combattre en Syrie et aussi pour ceux qui tentent de rentrer. Au moins deux des auteurs présumés des attentats de vendredi à Paris sont passés par la Turquie, selon les autorités. Certains des huit Marocains ont déjà été expulsés. L'interrogatoire des autres se poursuit. Selon la presse turque, le groupe prévoyait de se rendre en Allemagne par la route en se faisant passer pour des réfugiés. Les responsables turcs interrogés ont dit ne pouvoir confirmer cette information. Déjà ce mois-ci, 41 personnes en provenance du Maroc, soupçonnées de vouloir rejoindre l'EI, avaient été interpellées à l'aéroport Atatürk. La Turquie, qui fait partie de la coalition internationale contre l'EI emmenée par les Etats-Unis, a été critiquée pour ne pas avoir endigué avec suffisamment d'énergie l'afflux de combattants étrangers mais a dit à plusieurs reprises ne pouvoir agir seule comme gardienne des frontières européennes et avoir besoin de renseignements de l'étranger. SIGNALÉ PAR DEUX FOIS Les autorités turques affirment avoir signalé par deux fois à la France le cas d'Ismaël Omar Mostefaï, un des auteurs présumés des attentats de Paris, identifié grâce à l'empreinte d'un de ses doigts, coupé lors de l'explosion de son gilet dans la salle de concerts du Bataclan. Les services de renseignements turcs l'ont eu sur leur radar alors qu'ils enquêtaient sur quatre autres personnes dont les identités avaient été communiquées par la France en octobre 2014, ont dit des responsables. Ils ont d'abord demandé à la France plus d'informations à son sujet en décembre 2014 et, sans réponse de Paris, ont à nouveau écrit en juin 2015 en disant qu'il devait faire l'objet d'une surveillance. "Il semblait y avoir un lien entre cette personne et Daech et nous l'avons fait savoir. La seconde fois, nous avons (...) dit (à la France) qu'il était important qu'il y ait une collecte de données et une surveillance accrues", dit-on de même source. Brahim Abdeslam, 31 ans, un autre kamikaze des attentats de Paris, s'était rendu en Turquie dans l'espoir de passer en Syrie, mais a été expulsé vers la Belgique et interrogé à son retour avant d'être libéré, selon ce qu'ont indiqué des responsables judiciaires au journal belge Le Soir. La Turquie a mis sur pied un "centre d'analyse du risque" dans plusieurs aéroports et notamment à Atatürk, dont le personnel est constitué d'experts du renseignement et de la lutte antiterroriste dans le but de repérer les voyageurs soupçonnés d'avoir des liens avec l'EI. Plus de 700 étrangers ont été expulsés de Turquie au premier semestre 2015 pour liens supposés avec l'islamisme, contre 520 sur l'ensemble de l'an dernier, selon des chiffres communiqués par le gouvernement. La Turquie a également établi une liste de plus de 20.000 personnes qui n'ont pas le droit d'entrer en Turquie, à partir des renseignements fournis par les agences étrangères de renseignement. Les responsables interrogés par Reuters expliquent que pendant que la sécurité est renforcée en Turquie, des menaces sont susceptibles d'apparaître ailleurs, notamment en Afrique où la faiblesse des services de sécurité de certains pays est susceptible de mettre en danger les intérêts turcs et des Occidentaux faisant partie de la coalition contre l'EI. "Les intérêts de pays de la coalition comme la France, la Grande-Bretagne, les Etats-Unis et la Turquie dans certains pays africains pourraient être visés", dit-on. "Il faut que nous renforcions les précautions contre cela." Depuis le début de l'année, les autorités turques ont arrêté plus de 1.000 personnes soupçonnées d'avoir des liens avec le djihadisme, dont 300 ont été formellement inculpées. (Avec Melih Aslan, Jean-Philippe Lefief et Danielle Rouquié pour le service français)