La tension ne retombe pas entre la Turquie et la Russie

par Ece Toksabay et Alexander Winning ANKARA/MOSCOU (Reuters) - L'armée turque a affirmé mardi qu'un chasseur MiG-29 de nationalité inconnue de même que des systèmes de missiles installés en Syrie étaient entrés en "interférence" avec huit chasseurs F-16 de l'aviation turque qui patrouillaient lundi le long de la frontière syrienne. Le communiqué du chef d'état-major des forces turques ne précise pas ce qu'il entend par "interférence" mais l'annonce fait suite à deux incursions d'avions russes dans l'espace aérien de la Turquie au cours du week-end dénoncées par Ankara. Ces incidents frontaliers ajoutent aux tensions dans la région depuis que la Russie a déclenché, mercredi dernier, des frappes aériennes en soutien au régime de Bachar al Assad. A Moscou, le vice-ministre de la Défense, Anatoli Antonov, a indiqué mardi qu'une délégation du ministère turc de la Défense serait la bienvenue pour des discussions visant à éviter "toute incompréhension" en Syrie. Le même Antonov, cité par l'agence TASS, a ajouté que l'armée russe était d'accord sur le principe des propositions avancées par les Etats-Unis pour coordonner les vols militaires en Syrie, où opèrent également les avions de la coalition mise en place par Washington contre l'organisation djihadiste Etat islamique (EI). L'objectif est d'éviter des incidents malencontreux en vol. En déplacement sur la base aérienne de Moron de la Frontera, près de Séville (sud de l'Espagne), le secrétaire américain à la Défense, Ash Carter, a exhorté les Russes à faire connaître plus rapidement leur réponse aux règles proposées par Washington. La semaine dernière, lors d'une réunion en visioconférence avec des militaires russes, le Pentagone a suggéré des protocoles spécifiques visant à éviter tout incident, comme le respect d'une distance de sécurité entre les avions russes et américains ou l'utilisation de fréquences radios similaires pour les appels de détresse (un système assez proche des règles de l'aviation civile). "Nous attendons les Russes, ils nous doivent une réponse", a dit Carter. Le patron du Pentagone a par ailleurs jugé que les incursions russes dans l'espace aérien de la Turquie étaient "gravement irresponsables et non-professionnelles". L'OTAN OBSERVE UN RENFORCEMENT DU DISPOSITIF RUSSE La situation est d'autant plus risquée que la Turquie se tient sur le flanc sud-est de l'Otan. "Une attaque contre la Turquie constitue une attaque contre l'Otan", a souligné mardi le Premier ministre turc Tayyip Erdogan, en visite à Bruxelles. "Notre relation positive avec la Russie est connue. Mais si la Russie perd un ami comme la Turquie (...), elle perdra beaucoup et elle doit le savoir." Le secrétaire général de l'Otan, Jens Stoltenberg, a estimé de son côté que les deux violations de l'espace aérien turc par des avions de chasse russes opérant en Syrie "ne ressemblaient pas à des accidents" et a fait état d'un renforcement du dispositif russe en Syrie, y compris avec le déploiement de troupes au sol. "Je peux vous confirmer que nous avons constaté un net renforcement des forces russes en Syrie: forces aériennes, défense antiaérienne mais aussi troupes au sol autour de leur base, ainsi qu'une présence navale accrue", a dit le secrétaire général de l'Otan. Pour ce qui est du premier incident aérien, le ministère russe de la Défense a évoqué une incursion accidentelle, un Soukhoï Su-30 ayant pénétré l'espace turc "pendant quelques secondes" en raison des mauvaises conditions météorologiques. Le second incident dénoncé par la Turquie fait toujours l'objet de vérifications. Moscou n'a pas réagi aux nouvelles accusations d'"interférence" lancées mardi par l'armée turque. Concernant un éventuel déploiement de troupes au sol, l'amiral Vladimir Komoïedov, président de la commission de Défense de la Douma, a assuré que Moscou n'intervenait pas au sol et n'avait aucune intention de le faire, selon des propos cités par l'agence RIA Novosti. Lundi, le même Komoïedov avait jugé probable que des "volontaires" russes veuillent se rendre en Syrie pour combattre aux côtés des forces de Bachar al Assad -comme cela a été le cas dans l'est de l'Ukraine, selon la version officielle du Kremlin. Il avait ajouté que Moscou chercherait à empêcher leur départ, comme celui des Russes qui veulent rejoindre les rangs des rebelles syriens. (avec Robin Emmott à Bruxelles et Phil Stewart avec le secrétaire US à la Défense en Espagne; Pierre Sérisier, Tangi Salaün et Henri-Pierre André pour le service français)