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La stratégie des Russes sur l'Ukraine divise les Européens

par Paul Taylor et Adrian Croft PARIS/LUXEMBOURG (Reuters) - La stratégie de la Russie consistant à attiser l'instabilité en Ukraine sans intervenir militairement au grand jour accentue les divisions entre Etats membres de l'Union européenne quant à l'opportunité d'imposer des sanctions économiques contre Moscou, si bien qu'il est peu probable qu'une décision soit prise rapidement. Les ministres des Affaires étrangères des Vingt-Huit sont convenus lundi d'élargir leur liste de 33 individus visés par des gels d'avoirs et des interdictions de voyage en raison de leur rôle dans l'annexion de la Crimée. Cet accord a masqué cependant des divergences plus profondes quant aux critères de déclenchement d'une troisième phase de sanctions contre Moscou. Bien que le ministre français des Affaires étrangères Laurent Fabius ait déclaré que les dirigeants de l'UE pourraient se réunir dès la semaine prochaine pour adopter un nouveau train de sanctions, les diplomates européens jugent peu probable la tenue d'un sommet extraordinaire car leurs positions restent encore trop éloignées les unes des autres. "Si la Russie ne franchit pas la ligne rouge d'une intervention militaire, je ne pense pas que l'UE franchira celle des sanctions économiques", a déclaré Stefan Lehne, haut responsable de l'UE chargé de l'Europe orientale. Au lieu d'une opération directe, Moscou semble recourir à la prise de bâtiments publics par des miliciens armés pro-russes dans les villes de l'est de l'Ukraine, et à de fortes augmentations du prix du gaz afin de faire pression sur Kiev et de tenter de saborder l'élection présidentielle ukrainienne du 25 mai. Selon Stefan Lehne, le président russe Vladimir Poutine cherche visiblement à délégitimer le pouvoir ukrainien en laissant penser que l'Etat n'assume plus son rôle dans l'Est tout en évitant une présence militaire russe flagrante. La chancelière Angela Merkel étant en congés de Pâques et son ministre des Affaires étrangères Frank-Walter Steinmeier en tournée en Asie de l'Est, les Allemands ont maintenu profil bas lundi lors de la réunion des ministres européens à Luxembourg. TROIS CAMPS Le vice-chancelier allemand Sigmar Gabriel, par ailleurs ministre de l'Economie et de l'Energie, a invité mardi la Russie à montrer qu'elle voulait sérieusement faire baisser la tension lors des discussions quadripartites qui réuniront jeudi à Genève des diplomates russes, ukrainiens, européens et américains. Selon certains diplomates, les Européens veulent renforcer la position des Occidentaux à Genève, où l'UE sera représentée par Catherine Ashton, en faisant en sorte que la menace de sanctions paraisse réelle. Toutefois, disent des responsables européens, les préparatifs à Bruxelles pour que l'UE change de braquet avancent lentement, malgré les pressions en ce sens des Américains. D'éventuelles sanctions seraient un fardeau à partager délicatement entre pays de l'UE. L'Allemagne importe une bonne part de son énergie de Russie, même si ce pays n'est que son 11e partenaire commercial. La France a en jeu avec la Russie un contrat de vente de navires de guerre, et la Grande-Bretagne sert de centre financier offshore pour les riches hommes d'affaires russes. Jusqu'à présent, chacun a demandé à l'autre de porter le fardeau. Londres veut que l'on réduise la dépendance énergétique envers la Russie et que l'on interrompe les exportations d'armes vers ce pays, mais rechigne à bloquer les flux financiers; Paris, de son côté, défend l'idée de s'en prendre au portefeuille des Russes fortunés. La Lituanie, qui est entièrement dépendante des livraisons de gaz russe, souhaite que d'éventuelles sanctions portent sur le secteur bancaire et les ventes d'armes. Selon des diplomates, trois groupes d'importance égale se sont dessinés lors de la réunion ministérielle européenne de lundi. Ceux qui militent pour de nouvelles sanctions sont la Grande-Bretagne, la France, la Pologne, la Suède, le Danemark, la République tchèque et les trois pays baltes. L'Italie, la Grèce, Chypre, la Bulgarie, le Luxembourg, l'Autriche, l'Espagne, le Portugal et Malte sont plus réticents. Enfin, d'autres pays restent indécis, en tête desquels l'Allemagne, mais aussi les Pays-Bas, la Belgique, la Finlande, l'Irlande, la Roumanie, la Slovénie, la Slovaquie et la Croatie. (Eric Faye pour le service français)