La rébellion pro-russe s'étend dans l'est de l'Ukraine

par Thomas Grove et Gabriela Baczynska SLAVIANSK/DONETSK Ukraine (Reuters) - Les militants séparatistes pro-russes ont mené de nouveaux coups de force dans plusieurs villes de l'est de l'Ukraine lundi, sans que le gouvernement de Kiev ne mette à exécution ses menaces d'une opération de grande ampleur pour reprendre le contrôle d'une région qui semble lui échapper toujours davantage. Les ministres des Affaires étrangères de l'Union européenne ont entériné le principe d'un élargissement des sanctions aux personnalités russes ou ukrainiennes qu'ils jugeront responsables de l'agitation en cours. Un sommet européen pourrait avoir lieu la semaine prochaine pour durcir les sanctions, mais l'Europe attend d'abord le résultat des pourparlers qui réuniront jeudi à Genève la Russie, l'Ukraine, les Etats-Unis et l'UE. La Maison blanche a également averti Moscou qu'elle risquait de nouvelles sanctions en cas de nouvelles ingérences en Ukraine. Les rebelles de la ville de Slaviansk, qui se sont emparés samedi du QG de la police et du siège de la sécurité d'Etat (SBU), ont lancé un appel à l'aide à Vladimir Poutine au nom d'une "république populaire de Donetsk" face aux menaces d'intervention brandies par le président par intérim Olexander Tourtchinov, qui ne se sont finalement pas concrétisées à l'heure dite de l'expiration de l'ultimatum, lundi matin. Signe de tensions en coulisses à Kiev, le chef de la SBU en charge de l'opération a été limogé. A Donetsk, les rebelles retranchés au siège de l'administration régionale disent vouloir prendre le contrôle de toutes les infrastructures de l'oblast de Donetsk, qui abrite 10% de la population ukrainienne (4,3 millions d'habitants). Les séparatistes occupaient lundi soir des bâtiments officiels dans une dizaine de villes de l'Est russophone. Une centaine d'activistes ont attaqué le siège de la police à Horlivka, ville de 300.000 habitants de l'est de l'Ukraine, a déclaré un témoin à Reuters. POUTINE "TRES INQUIET" Le président russe est très inquiet au sujet de la situation en Ukraine, a par la suite fait savoir le Kremlin. "Malheureusement, il y a une grande quantité d'appels de ce type en provenance des régions de l'est de l'Ukraine adressées directement à Poutine pour qu'il intervienne de telle ou telle manière", a déclaré son porte-parole, Dmitri Peskov. "Le président observe les développements dans l'est de l'Ukraine avec grande inquiétude." Comme plusieurs pays occidentaux, dont les Etats-Unis, Olexander Tourtchinov accuse la Russie de provoquer en sous-main les troubles dans l'est de l'Ukraine sur le modèle du scénario ayant conduit à son annexion de la Crimée à la suite de la destitution en février de Viktor Ianoukovitch. La Russie dément toute implication de ses soldats et assure que les hommes armés et cagoulés qui ont mené les coups de force ces derniers jours sont des habitants agissant de leur propre chef, ce dont doutent fortement les Occidentaux. "Je ne pense pas que les démentis au sujet de l'implication russe aient la moindre crédibilité", a déclaré le chef de la diplomatie britannique William Hague lors d'une réunion des ministres européens des Affaires étrangères à Luxembourg. William Hague a déclaré que les 28 ministres s'étaient entendus sur le principe d'un élargissement des sanctions et sur l'ajout de nouveaux noms aux responsables déjà sanctionnés en mars après l'annexion de la Crimée. A Washington, la Maison blanche a déclaré que Barack Obama comptait s'entretenir dans la soirée avec Vladimir Poutine et que le gouvernement fédéral envisageait aussi de durcir ses sanctions. Moscou s'arroge le droit d'intervenir en Ukraine au nom de la protection des minorités russophones. L'Otan estime que la Russie a 40.000 soldats regroupés près de la frontière ukrainienne, capables de prendre l'est du pays en une poignée de jours. GOUVERNEUR INVISIBLE Après la mort d'un agent de la sécurité d'Etat et les blessures subies par deux de ses collègues près de Slaviansk, Olexander Tourtchinov a prévenu les rebelles qu'une opération "antiterroriste" impliquant l'armée serait lancée s'ils ne déposaient pas les armes, mais rien de tel ne s'est produit. Il a aussi promis que la région orientale du Donbass serait "bientôt stabilisée" mais tout indique au contraire que l'oblast échappe de plus en plus au contrôle du pouvoir central. Le gouverneur de Donestk, l'oligarque Serji Tarouta nommé par Kiev, n'est plus apparu en public depuis le 11 avril. Un homme se présentant comme le nouveau chef de la police régionale a arboré le ruban orange et noir des séparatistes. Alors qu'Olexander Tourtchinov avait évoqué la mobilisation de l'armée, le ministère ukrainien de la Défense a reconnu qu'il était difficile de mobiliser les forces armées dans l'Est, où certaines unités sont bloquées par des militants pro-russes. Vingt-six membres d'une unité de reconnaissance sont ainsi bloqués depuis une journée et demie à Slaviansk et des négociations sont en cours, a-t-il dit. Olexander Tourtchinov a dit qu'il n'était "pas contre" un référendum national sur l'organisation du pays et qu'une telle consultation, susceptible d'avoir lieu en même temps que le scrutin présidentiel du 25 mai, confirmerait la volonté d'une majorité d'Ukrainiens de disposer d'un pays uni et indépendant. Les séparatistes pro-russes réclament un tel référendum, mais seulement dans l'est du pays. La situation économique de l'Ukraine reste toujours très fragile. La banque centrale a procédé lundi soir à un relèvement spectaculaire de ses taux pour soutenir la hryvnia, la monnaie nationale, contenir l'inflation et stabiliser le marché monétaire. (Avec Natalia Zinets et Richard Balmforth à Kiev, Justyna Pawlak et Adrian Croft à Bruxelles, Jeff Mason à Washington; Eric Faye et Bertrand Boucey pour le service français)