La Russie, priée d'arrêter de bombarder la région d'Alep

par Michelle Nichols, Tom Perry et Humeyra Pamuk NATIONS UNIES/DAMAS/ONCUPINAR, Turquie (Reuters) - Plusieurs Etats membres du Conseil de sécurité de l'Onu ont prié la Russie de cesser de bombarder la région d'Alep, une intervention destinée à aider le gouvernement syrien à reprendre la ville, tandis qu'un responsable occidental a dit que Moscou avait proposé d'observer un cessez-le-feu à partir du 1er mars en Syrie. Sous la houlette du secrétaire d'Etat John Kerry, les Etats-Unis sont déterminés à obtenir un cessez-le-feu en Syrie, mais le pays doit "anticiper" et réfléchir à la marche à suivre en cas d'échec des efforts diplomatiques, a déclaré de son côté Brett McGurk, le représentant spécial de Washington auprès de la coalition internationale formée pour lutter contre le mouvement djihadiste. Les Nations Unies ont mis en garde contre un désastre humanitaire à Alep, deuxième ville syrienne où vivent encore deux millions de personnes. John Kerry espère un accord lors d'une réunion du Groupe international de soutien à la Syrie (GISS) ce jeudi à Munich. Le GISS se réunit en marge de la conférence internationale annuelle sur la sécurité, pour tenter sans grand espoir de relancer les négociations entre Damas et l'opposition. L'offensive d'Alep a entraîné la suspension, le 3 février, des discussions entamées à Genève sous l'égide des Nations unies. L'émissaire spécial de l'Onu, Staffan de Mistura, espère les relancer le 25 février. Des responsables syriens ont laissé entendre n'avoir aucune intention de relâcher l'effort de guerre, une source militaire disant que la bataille d'Alep, une ville clef dans un conflit qui a déjà tué quelque 250.000 personnes, se poursuivrait dans "toutes les directions". Le ministre de l'Information syrien Omran al-Zoubi a ajouté que le gouvernement s'attendait à une courte bataille pour faire repasser la ville sous le contrôle du gouvernement. "Je ne pense pas que la bataille d'Alep se poursuivra pendant encore très longtemps", a-t-il dit à Reuters. La proposition de cessez-le-feu russe rapportée par le diplomate occidental a été fraîchement accueillie par Washington et aucun accord en la matière n'a été conclu à ce stade. Prié de dire quand ce cessez-le-feu pourrait entrer en vigueur, un diplomate russe, sous couvert d'anonymat, a dit : "Peut-être en mars, je pense". FABIUS CRITIQUE WASHINGTON A la demande de la Nouvelle-Zélande et de l'Espagne, le Conseil s'est réuni à huis clos pour faire le point sur la situation après l'alerte lancée par les Nations unies, selon lesquelles plusieurs centaines de milliers de civils pourraient être privés de nourriture si les forces syriennes parviennent à encercler les quartiers d'Alep aux mains des insurgés. "Les raids aériens russes sont une cause directe de cette crise autour d'Alep", a affirmé le représentant permanent de la Nouvelle-Zélande, Gerard van Bohemen, s'adressant à la presse après avoir entendu Stephen O'Brien, secrétaire général adjoint de l'Onu aux affaires humanitaires. Pour revenir à la table des négociations, le Haut Conseil pour les négociations (HCN), alliance de l'opposition syrienne formée en décembre à Ryad, exige l'application de la résolution 2254 du Conseil de sécurité de l'Onu, qui prévoit notamment un cessez-le-feu, le ravitaillement des zones assiégées et la libération des détenus politiques. "Le régime (syrien) et ses alliés ne peuvent prétendre qu'ils tendent la main à l'opposition alors qu'il s'efforce de la détruire de l'autre", a déclaré l'ambassadeur Français François Delattre. Parlant de frappes "transparentes, son homologue russe Vitali Tchourkine a reproché à certains Etats membres du Conseil d'"exploiter grossièrement les questions humanitaires pour jouer un rôle destructeur dans le processus politique". L'ambassadeur britannique Matthew Rycroft a quant à lui invité Moscou à présenter des "idées concrètes" à Munich. Une source diplomatique des Nations Unies a déclaré que la Russie essayait de "duper John Kerry" afin de fournir une couverture diplomatique au vrai but de Moscou : aider Bachar al Assad à gagner sur le champ de bataille plutôt qu'à la table des négociations. Le Kremlin rejette les accusations selon lesquels il avait troqué la diplomatie pour une solution militaire, disant qu'il continuerait à aider Bashar al Assad à combattre des "groupes terroristes" et accusant l'opposition syrienne d'abandonner les discussions. Laurent Fabius, le ministre des Affaires étrangères français sur le départ, a vivement critiqué la position américaine dans le dossier syrien, dénonçant les "ambiguïtés" de Washington et mettant en doute sa volonté. 500 MORTS Les combats dans la province syrienne d'Alep ont fait au moins 500 morts depuis le déclenchement au début du mois de l'offensive de l'armée syrienne avec l'appui de l'aviation russe, rapporte mercredi l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH). Une centaine de civils sont au nombre des victimes, précise l'OSDH qui s'appuie sur un réseau d'informateurs au sol. Des docteurs travaillant de part et d'autre de la frontière syro-turque se sont dits débordés par les blessures provoquées par les frappes aériennes. Selon Moscou, elles ne visent que les militants islamistes mais les pays occidentaux disent qu'elles sont à l'origine de nombreuses morts civiles. L'association humanitaire Médecins sans frontières, qui gère six hôpitaux en Syrie et est présente dans 153 autres centres de soins dans le pays, a dit que les travailleurs médicaux dans la zone située au nord d'Alep ont été contraints de fuir pour avoir la vie sauve. "Une nouvelle fois, nous voyons des installations de santé faire l'objet d'un siège", a dit Muskilda Zancada, chef de mission de MSF en Syrie. Le Comité international de la Croix Rouge (CICR) a dit qu'il qu'il livrait de l'eau à Alep étant donné que le système d'approvisionnement de la ville ne fonctionnait plus. Les bombardements russes en Syrie font le jeu de l'Etat islamique (EI ou EIIL) en décimant l'aile de l'insurrection soutenue par les puissances occidentales, a estimé Brett McGurk. Les combattants rebelles syriens rencontrés dans cet hôpital de campagne à Kilis, à la frontière turque sont amers; tous leurs efforts déployés pour renverser Bachar al Assad sont en passe d'être balayés par l'intervention russe en appui au président syrien. (Avec la contribution Warren Strobel à Munich, John Irish et Marine Pennetier à Paris, Louis Charbonneau à New York, Parisa Hafezi à Ankara, Tom Miles and Stephanie Nebehay à Genève et Jonathan Landay à Washington, Jean-Philippe Lefief et Benoît Van Overstraeten pour le service français)