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La Justice fédérale réclame de profondes réformes à Ferguson

par Carey Gilliam WASHINGTON (Reuters) - Le département américain de la Justice a annoncé mercredi avoir décidé de ne pas retenir de charge pour violation des droits civiques contre l'agent de police Darren Wilson, qui avait abattu un jeune Noir désarmé en août dernier à Ferguson, dans le Missouri. Le ministère estime en revanche que de profondes réformes sont nécessaires au sein de la police de Ferguson et du système judiciaire local, taxés de préjugés raciaux systématiques qui, selon l'Attorney General (ministre de la Justice) Eric Holder, ont créé un "environnement toxique" dans cette petite ville de la banlieue de St Louis. Cette procédure contre Darren Wilson avait été intentée en fin d'année dernière après la décision d'un grand jury de ne pas poursuivre le policier pour la mort de Michael Brown, 18 ans. Les circonstances de sa mort et les suites judiciaires de l'affaire ont provoqué de violentes émeutes dans la petite ville et relancé le débat, cinquante ans après le mouvement des droits civiques, sur les discriminations raciales aux Etats-Unis. "La violence, bien sûr, n'est jamais justifiée, mais dans ce contexte, dans cet environnement hautement toxique défini par la méfiance et le ressentiment, entretenu par des années d'animosité et attisé par des pratiques illégales et erronées, il n'est pas difficile de comprendre comment un tragique incident isolé a transformé une ville comme Ferguson en une poudrière", a-t-il dit. L'AGENT WILSON "N'A PAS AGI AVEC UNE INTENTION CRIMINELLE" Darren Wilson, qui a démissionné de la police, a toujours affirmé avoir agi en état de légitime défense. Dans son rapport, le département de la Justice estime qu'il n'a "pas agi avec une intention criminelle" et que ce dossier doit donc être classé. Au-delà du cas particulier de l'ex-policier, le ministère de la Justice note avoir décelé "des pratiques structurellement illicites au sein du département de la police de Ferguson". "Les pratiques nuisibles du tribunal et de la police de Ferguson sont dues, au moins en partie, à une discrimination intentionnelle ainsi que le démontrent les preuves directes de préjugés et stéréotypes raciaux de certains policiers et fonctionnaires judiciaires municipaux contre les Afro-Américains", peut-on lire dans le rapport. Il souligne que les noirs, qui forment les deux tiers de la population de la ville, représentent 85% des inculpations et 90% des arrestations. Le rapport du département de la Justice fait également état de preuves directes de biais et stéréotypes raciaux et de plaisanteries racistes dans de multiples échanges électroniques entre policiers et fonctionnaires de la ville. D'après Holder, des policiers se sont même livrés à un concours de celui qui citerait le plus de Noirs à comparaître. "Notre enquête, ainsi que le détaille notre rapport, a mis en évidence une communauté profondément divisée où une méfiance et une hostilité profondes caractérisaient souvent les relations entre la police et les habitants du secteur", a commenté Eric Holder. "Il est temps à présent que les responsables de Ferguson entreprennent sans délai une action globale et structurelle de nature à corriger cela", a-t-il poursuivi, appelant à "promouvoir la réconciliation, réduire et éradiquer les préjugés et rétablir la compréhension mutuelle". L'Attorney General, qui laissera bientôt son poste à Loretta Lynch, a prévenu que le département de la Justice se réservait le droit, si nécessaire, d'imposer ces changements. James Knowles, maire de Ferguson, a imputé les courriers électroniques évoqués par le ministre à trois membres des services de police, dont deux ont été suspendus et le troisième licencié. Il a en outre annoncé qu'une série de réformes étaient en cours, notamment en ce qui concerne la formation des agents et la réduction des amendes. "Nous devons faire mieux, pas seulement au niveau municipal mais au niveau de l'Etat et du pays", a-t-il estimé. "...NOTRE FILS NE SERA PAS MORT EN VAIN" Emanuel Cleaver, élu démocrate du Missouri à la Chambre des représentants, a jugé qu'aucun membre de la communauté afro-américaine ne serait surpris par ce rapport. Il espère aussi que les conclusions du département de la Justice serviront de piqûre de rappel à de nombreuses municipalités du pays. "Il s'agit d'une information précieuse contre ceux qui préfèrent penser que toute accusation de discrimination équivaut simplement à jouer la carte raciale", a dit l'élu. Les parents de Michael Brown, Lesley McSpadden et Michael Brown Sr, ont déclaré pour leur part que la décision de ne pas poursuivre l'ex-agent Wilson les décevait, mais que l'appel à des changements structurels constituaint un motif d'espoir. "Nous espérons que cette action permettra de produire un véritable changement non seulement à Ferguson mais dans tout le pays", ont-ils réagi dans un communiqué. "Si les choses changent, notre fils ne sera pas mort en vain." Le président Barack Obama est attendu samedi à Selma, dans l'Alabama, pour le 50e anniversaire de la répression policière d'une manifestation du mouvement des droits civiques. Le 7 mars 1965, des manifestants qui réclamaient la fin des restrictions au droit de vote des Noirs avaient été violemment stoppés par les forces de l'ordre. La brutalité de leur intervention avait choqué les Etats-Unis et conduit le Congrès à voter l'été suivant le Voting Rights Act, la loi qui a mis fin aux restrictions opposées au vote des Noirs. (avec Lisa Lambert; Tangi Salaün et Henri-Pierre André pour le service français)