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La fracture béante des "deux gauches" en vue des départementales

Socialistes, écologistes et communistes n'ont pas forgé assez d'alliances pour atténuer leur défaite annoncée aux départementales de mars, un échec qui illustre la fracture des "deux gauches" confirmée par le débat sur la loi Macron. /Photo d'archives/REUTERS/Philippe Wojazer

par Julien Ponthus PARIS (Reuters) - Socialistes, écologistes et communistes n'ont pas forgé assez d'alliances pour atténuer leur défaite annoncée aux départementales de mars, un échec qui illustre la fracture des "deux gauches" confirmée par le débat sur la loi Macron. Le Front national est en tête des intentions de vote pour le premier tour des élections départementales du 22 mars avec 30%, devant l'UMP et les centristes de l'UDI (28%) et le Parti socialiste, distancé avec 20%, selon un sondage Ifop paru lundi dans Le Figaro, confirmant d'autres études. A un mois de l'échéance, le PS, aux responsabilités dans environ 60% des départements, a notamment pâti de l'hostilité que suscite la politique économique du gouvernement sur le terrain et chez les militants des partis à sa gauche. "Les partenaires sont soumis à la pression de la base", reconnaît un conseiller de l'exécutif, tandis qu'un député socialiste "frondeur" rejette la responsabilité de la désunion directement sur le gouvernement de Manuel Valls. "C'est dur de dire 'faites des alliances avec nous' quand on fait des politiques qui divisent la gauche", estime cet opposant à la ligne jugée libérale de l'exécutif. L'Ifop a effectué, sur la base des données du ministère de l'Intérieur, un relevé des configurations de binômes qui se présentent et qui illustrent la division de la gauche. Les socialistes, présents dans 1.552 cantons sous l'étiquette PS ou "Union de la gauche", affronteront dans 731 cas un binôme du Front de gauche sans écologiste, dans 85 cas un binôme "vert" sans le Front de gauche et dans 232 cas des binômes des deux partis. "Pourquoi l'union n'a pas pu se faire? On en a une illustration à l'Assemblée", explique Jérôme Fourquet, directeur du département opinion publique de l'Ifop. "LA COUPE EST PLEINE" L'utilisation, faute de majorité à l'Assemblée, de l'article 49-3 de la Constitution pour faire adopter la loi sur la croissance et l'activité a exposé au grand jour les divisions à gauche qui sont allées jusqu'au vote par des députés du Front de gauche de la motion de censure déposée par la droite. Alors que le Parti communiste avait, lors des élections municipales, souvent passé outre l'appel de Jean-Luc Mélenchon et du Parti de Gauche à refuser toute alliance avec les socialistes, la situation a maintenant changé. "Là, le prix politique ou idéologique à payer est trop élevé" pour s'allier avec le PS, dit Jérôme Fourquet, pour qui "la coupe est pleine" dans l'appareil communiste. La fracture est aussi visible chez les Verts qui ont souvent fait alliance pour ces départementales avec le Front de gauche plutôt qu'avec les socialistes. Si Europe Ecologie-Les Verts se considère officiellement dans la majorité, une part significative de ses militants et responsables estiment que leur avenir passe par un renforcement des liens avec la gauche de la gauche. Galvanisés par la victoire en Grèce de la gauche radicale de Syriza, par l'émergence du mouvement Podemos en Espagne ou encore le succès de l'alliance verte-rouge à Grenoble aux municipales 2014, de nombreux communistes et écologistes ont tiré un trait sur un PS jugé trop libéral. Incarnée par l'ancienne ministre du Logement Cécile Duflot, cette ligne politique divise les Verts alors qu'après le départ de ces derniers du gouvernement en avril, le PS ne conserve pour alliés inconditionnels que les Radicaux de gauche. "RAYEE DE LA CARTE" La volonté des partis de gauche de se "compter" aux élections départementales est suicidaire de l'avis de sondeurs et des politologues, pour lesquels aucun d'entre eux ne devrait être capable de tirer son épingle du jeu, tant l'ensemble de la gauche est menacée par de Bérézina électorale. "Il y a un vrai risque d'élimination de la gauche dans son ensemble dès le premier tour, du fait d'une part de l'impopularité persistante de l'exécutif, d'autre part de la dynamique frontiste et de la relative unité qui règne à droite", explique Jérôme Fourquet. Le score de la candidate FN au second tour de l'élection législative partielle du Doubs, battue de justesse par son adversaire socialiste le 8 février, a marqué les esprits. Le mode de scrutin, binominal (les candidatures sont déposées sous la forme d'un binôme homme-femme) à deux tours pourrait avoir un effet dévastateur sur toute la gauche. Pour se maintenir au deuxième tour, les candidats doivent arriver en première ou en deuxième position ou de recueillir au moins 12,5% des voix des électeurs inscrits, ce qui risque d'être un seuil inatteignable en raison de l'abstention. "Il est tout à fait envisageable que dans pas mal d'endroits la gauche désunie soit rayée de la carte le soir du premier tour", dit Jérôme Fourquet. Les socialistes les plus pessimistes estiment que leur assise départementale pourrait être divisée par trois, à 20 départements, tandis que d'autres estiment que limiter la perte à 30 départements pourrait être interprété comme une victoire. En tout état de cause, une grande partie de l'appareil socialiste local est menacé d'un "deuxième plan social" après celui des municipales, selon l'expression de Jérôme Fourquet. L'ampleur de la défaite attise les spéculations quant à ses conséquences sur la bataille que livreront les "frondeurs" pour prendre le contrôle du PS lors de son Congrès en juin. Des membres du gouvernement estiment même qu'un remaniement pourrait s'imposer pour tirer les conséquences du scrutin. "Cela dépend de l'ampleur de la défaite aux cantonales, s'il y a un raz-de-marée du FN ou non", estime un ministre. (Avec Elizabeth Pineau, édité par Yves Clarisse)