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La Catalogne déclare son indépendance, Madrid la met sous tutelle

par Julien Toyer et Sam Edwards

MADRID/BARCELONE (Reuters) - Le Sénat espagnol a autorisé vendredi le gouvernement de Mariano Rajoy à administrer directement la Catalogne, qui avait proclamé dans l'après-midi son indépendance, nouveau cap franchi dans la crise entre Barcelone et Madrid provoquée par le référendum d'autodétermination du 1er octobre.

Conforté par le vote du Sénat, le président du gouvernement Mariano Rajoy a réuni en fin d'après-midi un conseil des ministres extraordinaire lors duquel devaient être adoptées les premières mesures de mise sous tutelle de la Généralité.

Elles pourraient comprendre la destitution du gouvernement régional et le placement des forces de police catalanes sous l'autorité de Madrid.

Reste à savoir comment, sur le terrain, les mesures seront appliquées et dans quelle mesure les Catalans, qui étaient encore rassemblés en masse dans les rues de Barcelone au soir de cette journée historique pour les indépendantistes, les accepteront. Certains partisans de l'indépendance ont appelé à une campagne de désobéissance civile.

La motion votée par le Parlement de Barcelone proclame que la Catalogne constitue un Etat indépendant, souverain et une démocratie sociale.

Elle appelle aussi les pays et institutions à reconnaître l'indépendance de la région du nord-est de l'Espagne. Un voeu pieux à en croire les réactions européennes enregistrées après le vote. "Cela ne change rien pour l'UE. L'Espagne demeure notre seul interlocuteur", a déclaré le président du Conseil européen, Donald Tusk.

L'Allemagne, la France et la Grande-Bretagne ont également rejeté la déclaration unilatérale d'indépendance et réaffirmé leur soutien à Rajoy.

"Ce ne sera pas facile, ça ne changera pas en un jour. Mais il n'y a pas d'alternative au processus qui conduira à la République catalane", avait reconnu Marta Rovira, une élue de l'alliance indépendantiste Junts pel Si (Ensemble pour le oui) lors du débat qui a précédé le vote.

"PRÉSIDENT !"

La motion, présentée par la coalition Junts pel Si et la CUP (Candidature d'unité populaire), a été adoptée par 70 voix pour, dix voix contre et deux votes blancs, a annoncé la présidente du parlement régional.

Hostiles à l'indépendance, les élus régionaux du Parti socialiste catalan (PSC), du Parti populaire (conservateurs, PP, la formation de Mariano Rajoy) et de Ciudadanos (centre) ont quitté l'hémicycle à l'issue du débat et n'ont pas pris part au vote.

Les socialistes catalans, qui estiment que la décision du bureau du Parlement de Catalogne d'inscrire cette motion à l'ordre du jour était contraire à la Constitution, ont parallèlement saisi le Tribunal constitutionnel espagnol, qui a engagé dans l'après-midi l'examen de ce recours.

Les députés catalans ont également voté l'ouverture d'un "processus constituant" pour séparer la Catalogne du reste de l'Espagne.

Les cris de "Président !" ont fusé quand le chef de l'exécutif catalan, Carles Puigdemont, a quitté l'hémicycle après la proclamation d'indépendance tandis que des maires indépendantistes venus devant le Parlement entonnaient "Els Segadors", l'hymne catalan (le chant des Faucheurs).

"La Catalogne est et restera une terre de liberté. Dans les temps difficiles et dans les temps de fête. Aujourd'hui plus que jamais", a écrit Puigdemont sur Twitter.

Dans les minutes ayant suivi le vote des députés catalans, peu avant 15h30, Mariano Rajoy avait lui aussi réagi sur Twitter, lançant un appel au calme à tous les Espagnols et promettant de rétablir la légalité en Catalogne.

Dans la matinée, en s'adressant aux sénateurs, le président du gouvernement espagnol avait estimé qu'il fallait "adopter des mesures exceptionnelles que lorsqu'aucun autre remède n'est possible".

"La seule chose qu'il faut faire et qui doit être faite, c'est d'accepter la loi et de s'y conformer (...) Nous sommes confrontés à un défi sans précédent dans notre histoire récente", avait continué Mariano Rajoy, pour qui les dirigeants catalans feignent d'ignorer la loi et se livrent à une parodie de démocratie.

DIVISIONS

Ces dernières heures, la crise politique la plus grave qu'ait connue l'Espagne depuis la tentative de coup d'Etat de février 1981 a vécu des coups brutaux d'accélérateur.

Alors que l'idée d'élections régionales anticipées, susceptibles de désamorcer les tensions, semblait gagner du terrain y compris parmi les autorités régionales, Carles Puigdemont y a finalement renoncé jeudi en fin d'après-midi, estimant qu'il n'avait pas reçu les garanties nécessaires pour que le scrutin se déroule dans des conditions normales et ajoutant qu'il incombait désormais au Parlement régional d'apporter une réponse aux décisions de Madrid.

Le 10 octobre, neuf jours après la tenue du référendum sur l'indépendance déclaré illégal par Madrid, Puigdemont avait fait une déclaration d'indépendance ambiguë, aussitôt suspendue pour permettre l'ouverture de négociations avec le gouvernement espagnol.

Mais aucune discussion n'a eu lieu et Puigdemont n'a pas donné suite à l'invitation à se présenter devant le Sénat pour expliquer sa position.

La crise a divisé la Catalogne et provoqué un profond ressentiment dans le reste de l'Espagne. De nombreux habitants de Madrid suspendent leur drapeau national aux balcons pour afficher leur volonté d'union nationale.

"Je suis inquiet, je suis nerveux, comme tout le monde. Mais la liberté n'est jamais gratuite", déclarait un musicien de 50 ans, Jaume Moline, rencontré parmi la foule massée dès vendredi matin devant le Parlement et le siège de la Généralité de Catalogne.

Sur le plan économique, le bras de fer entre Barcelone et Madrid a incité de nombreuses entreprises catalanes à transférer leur siège social hors de la région. L'indice Ibex de la Bourse de Madrid a brutalement chuté à l'annonce de la proclamation d'indépendance et a fini la séance sur un recul de 1,45% tandis que les principales Bourses européennes terminaient en nette hausse.

La Catalogne est l'une des régions les plus prospères d'Espagne - elle représente près de 20% du PIB national - et dispose déjà d'un haut degré d'autonomie.

Mais la région a une longue histoire de griefs avec la capitale, exacerbés pendant la dictature franquiste, entre 1939 et 1975, années marquées par une brutale répression culturelle et politique.

(avec Paul Day; Eric Faye, Jean-Stéphane Brosse et Henri-Pierre André pour le service français)