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Le secteur bancaire letton déstabilisé par deux scandales

par Gederts Gelzis

RIGA (Reuters) - Le secteur financier de la Lettonie, un pays membre de la zone euro, a été déstabilisé lundi par l'appel à l'aide lancé par l'une des principales banques du pays accusée de blanchiment d'argent et par l'arrestation du gouverneur de sa banque centrale, soupçonné de corruption.

La Banque centrale européenne (BCE) a annoncé lundi avoir gelé les paiements de la banque lettone ABLV, dont la situation financière s'est brusquement détériorée après avoir été accusée par les Etats-Unis de violation des sanctions contre la Corée du Nord.

Une source proche du dossier a dit que le moratoire de la BCE serait de courte durée, ne laissant que quelques jours à ABLV pour évaluer la situation.

Seuls des établissements solvables peuvent recevoir des fonds de soutien d'urgence et si la BCE conclut qu'ABLV ne peut pas faire face à ses obligations financières, de liquidités et de fonds propres, elle pourrait engager des procédures susceptibles de déboucher sur la liquidation de la banque.

Le département du Trésor américain a réclamé mardi dernier des sanctions contre ABLV, la troisième banque de Lettonie, en l'accusant de laisser des clients traiter avec la Corée du Nord tout en versant des pots-de-vin à des responsables lettons pour qu'ils ferment les yeux sur ses activités.

"ABLV a institutionnalisé le blanchiment d'argent et en a fait un des piliers de son activité", accuse le FCEN, le Réseau de surveillance contre les délits financiers (Financial Crimes Enforcement Network), rattaché au département du Trésor, en établissant un lien entre certaines activités de la banque lettone et le programme nord-coréen de missiles balistiques.

"PAS DE VIOLATION DE SANCTIONS"

La troisième banque du pays a rejeté ces accusations la semaine dernière en affirmant qu'elles se fondaient sur des informations non étayées et trompeuses.

"Nous ne participons à aucune activité illégale", a dit le numéro deux de la banque, Vadims Reinfelds, lors d'une conférence de presse. "Il n'y a pas violation des sanctions."

La banque centrale lettone a accepté de fournir en urgence à ABLV 97,5 millions d'euros de liquidités mais les détails de cette opération n'ont toujours pas été finalisés et l'établissement n'a pas encore reçu ces fonds.

ABLV, qui affirme disposer de suffisamment d'actifs à fournir en garantie, a souligné qu'elle ne sollicitait pas un sauvetage mais seulement une aide temporaire, après avoir subi 600 millions d'euros de retraits de ses clients, 22% du total des dépôts, à la suite des demandes de sanctions des Etats-Unis.

Le système bancaire de la Lettonie, pays balte ayant acquis son indépendance de l'Union soviétique en 1991, avant de rejoindre l'Union européenne en 2004, puis la zone euro en 2014, est dominé par des établissements nordiques que côtoient divers établissements lettons non cotés.

Dans un document détaillant ses accusations contre ABLV, le FCEN écrit que la dépendance du système bancaire letton à l'égard des comptes détenus par des étrangers l'expose à un risque accru d'activités illégales. Il estime que ces comptes abritent environ 13 milliards de dollars.

RIMSEVICS AURAIT RÉCLAMÉ UN POT-DE-VIN

"Les activités bancaires des non-résidents en Lettonie permettent à des entreprises offshore, notamment des sociétés-écrans, de détenir des comptes et d'effectuer des transactions via les banques lettones", affirment les services du Trésor américain, qui soupçonnent des organisations criminelles et des responsables corrompus de tirer parti de cette situation.

"Des acteurs (de l'ancienne Union soviétique) transfèrent souvent leurs fonds via la Lettonie, fréquemment par le biais de structures juridiques complexes et interconnectées, vers diverses destinations bancaires afin de limiter la surveillance des transactions et de réduire la prise de risques sur les transactions", ajoutent-ils.

Dans une affaire distincte, les services lettons de lutte contre la corruption ont annoncé lundi le placement en détention samedi d'Ilmars Rimsevics, qui, en tant que gouverneur de la banque centrale lettone, siège au conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne (BCE).

Ilmars Rimsevics est soupçonné d'avoir sollicité un pot-de-vin et son cas n'est pas lié à l'enquête relative à ABLV, ont précisé les services anti-corruption.

"La procédure pénale vise la demande d'un pot-de-vin de pas moins de 100.000 euros", a déclaré à la presse Jekabs Straume, chef du Bureau letton de prévention et de lutte contre la corruption.

L'agence anti-corruption lettone a annoncé en début de soirée qu'elle avait remis en liberté le gouverneur Ilmars Rimsevics.

"Je démens catégoriquement", a déclaré Ilmars Rimsevics à a sortie, filmé par le site d'informations letton Delfi.

Le gouvernement letton a de son côté estimé qu'Ilmars Rimsevics devait démissionner. "Je ne peux pas concevoir qu'un gouverneur de la Banque de Lettonie placé en détention pour une accusation aussi grave puisse continuer à travailler", a déclaré lundi le Premier ministre Maris Kucinskis.

(Avec Balazs Koranyi à Francfort, Simon Johnson à Stockholm, Silvia Aloisi à Londres et Jan Strupczewski et Alissa de Carbonnel à Bruxelles, Véronique Tison, Eric Faye, Bertrand Boucey et Juliette Rouillon pour le service français, édité par Jean-Stéphane Brosse)