L'état-major d'Airbus sur la sellette

par Tim Hepher et Cyril Altmeyer

PARIS (Reuters) - L'état-major d'Airbus pourrait être largement remanié alors que des affaires de fraude présumée pourraient relancer les rivalités de personnes depuis longtemps entretenues au sein du leader européen de l'aéronautique, l'espace et la défense, ont déclaré à Reuters des sources proches du dossier.

Un conseil d'administration doit se réunir jeudi pour tenter de limiter l'impact des différentes enquêtes sur ces fraudes et des éventuels départs en série qui pourraient en découler, ajoute-t-on.

L'avionneur lui-même est à l'origine des enquêtes lancées au Royaume-Uni en 2016 puis en France cette année puisqu'il avait transmis aux autorités britanniques le résultat d'une revue interne montrant des irrégularités dans le recours à des consultants pour la vente à l'export d'avions civils Airbus.

Airbus fait par ailleurs l'objet d'une enquête en Autriche liée à la vente d'avions de combat Eurofighter en 2003.

"On ne peut pas écarter un changement dans la gouvernance d'ici à la fin de l'année", a déclaré une source haut placée au sein d'Airbus.

D'autres sources restent plus circonspectes à court terme, estimant que d'éventuelles décisions devraient plutôt être prises l'an prochain sur la gouvernance du groupe, dont le cours de Bourse est à des niveaux record mais qui doit néanmoins se battre pied à pied pour maintenir ses parts de marché face à son grand rival américain Boeing.

Jusqu'à présent, les investisseurs sont restés relativement sereins face à la multiplication des enquêtes et au ralentissement des commandes, mais l'inquiétude commence à poindre alors que certains responsables sont sur le départ, comme l'emblématique directeur commercial John Leahy et le directeur technique Paul Eremenko.

"Vous ne reconnaîtrez pas le groupe dans 12 à 18 mois", a déclaré une source en lien étroit avec Airbus.

"QUI PART ET DANS QUEL ORDRE ?"

Le quotidien Le Figaro écrit pour sa part mercredi que le président exécutif d'Airbus Tom Enders ne demandera pas sa reconduction à l'issue de son mandat en 2019. L'intéressé a fait savoir que seuls le conseil d'administration et lui-même pouvaient décider de son avenir.

Selon des sources industrielles, Tom Enders devrait renoncer à un troisième mandat pour des raisons personnelles mais aussi professionnelles, reconnaissant ainsi que son maintien pourrait se révéler problématique au moment où Airbus doit prendre un nouveau départ susceptible de faciliter le règlement des procédures en cours.

Selon les observateurs, reste à savoir si Tom Enders, qui aura 59 ans ce mois-ci, est en situation d'achever son mandat.

Il a déclaré récemment qu'il était concentré sur son mandat actuel et le conseil l'a soutenu face à une série d'articles de presse défavorables.

Ce climat relance les spéculations sur les ambitions de Fabrice Brégier, numéro deux du groupe et grand rival de Tom Enders, qui rêve depuis longtemps de lui succéder.

Reste qu'il n'y a guère de monde pour parier à long terme sur l'avenir du Français chez Airbus alors qu'il est de plus en plus clair qu'il n'a plus le statut de dauphin naturel.

Fabrice Brégier, qui est également administrateur d'Engie, s'est déclaré "surpris" par les conjectures sur un éventuel départ imminent, se disant totalement concentré sur la réalisation des objectifs du groupe.

Cette tension entre les deux hommes, qui pourrait un peu plus les fragiliser, était montée d'un cran en juin lorsque Tom Enders a décidé de superviser directement le département des ventes d'Airbus, au détriment de Fabrice Brégier, une information révélée par Reuters.

"La question est de savoir qui part et dans quel ordre", a observé une source proche du groupe.

UN DOSSIER SURVEILLÉ DE PRÈS À PARIS, BERLIN ET MADRID

Le plan de succession et les priorités opérationnelles d'Airbus seront au coeur du conseil de jeudi mais, selon une source, il est peu probable que cette réunion soit décisive.

Le conseil d'administration a recruté un cabinet de chasseurs de tête pour passer en revue les postes de direction du groupe, Airbus insistant sur le caractère ordinaire du processus.

Les Etats français, allemand et espagnol suivent de très près l'évolution de la situation de l'entreprise, qui représente un enjeu stratégique évident en Europe.

"La stabilité, la robustesse de la gouvernance pour une entreprise aussi stratégique, c’est critique", a déclaré à Reuters une source à l'Elysée.

"Nous sommes à la fois actionnaires, VRP - car elle ne vend pas sans nous -, financeurs - car il n’y a pas un produit qu’elle vend sans les financements des Etats - et nous sommes aussi clients. Donc il y a peu d’entreprises pour lesquelles l’Etat est autant légitime", a expliqué cette source.

"C'est un dossier que nous suivons avec attention en lien avec nos partenaires", a souligné une autre source gouvernementale.

"L'entreprise fait l'objet d'enquêtes de justice sur lesquelles nous n'avons pas à nous prononcer mais nous veillerons bien évidemment à ce que les responsabilités des uns et des autres soient bien identifiées et à ce que le conseil d'administration en tire toutes les conséquences."

(Avec Jean-Baptiste Vey et Jean-Michel Bélot, édité par Dominique Rodriguez)