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L’hydrogène, ligne de front entre partisans et opposants au nucléaire

L’hydrogène, ligne de front entre partisans et opposants au nucléaire

L'hydrogène d'origine nucléaire doit-il être considéré comme une énergie renouvelable ? C’est la question qui oppose actuellement les États membres de l'UE.

L'hydrogène est considéré comme une technologie prometteuse susceptible d'aider l'Union européenne à réduire sa dépendance à l'égard des combustibles fossiles et d’atteindre d’ici 2050 la neutralité carbone. Il pourrait être utilisé dans les transports, les engrais, l'acier et le stockage de l'électricité.

La grande majorité de l'hydrogène produit aujourd'hui dans l'Union provient cependant du gaz naturel. Dans ces conditions, cette énergie ne peut pas être employée pour la transition climatique.

Les 27 veulent donc promouvoir l'hydrogène propre, autrement dit avec le recours d’une électricité renouvelable.

La Commission européenne a proposé en 2021 un nouvel objectif qui obligerait l'ensemble de l'UE à garantir que 40 % de sa consommation d'énergie soit d'origine renouvelable d'ici 2030.

Cette ambition a même été revue à la hausse, soit 45%, à la suite de l'invasion de l'Ukraine par la Russie.

Ce chiffre doit être atteint collectivement, et non pas par Etat membre. Il doit prendre en compte différentes ressources renouvelables, telles que l'énergie éolienne, solaire, géothermique et hydroélectrique.

La Commission a proposé d’inclure l'hydrogène renouvelable dans cet objectif global. Le texte fait actuellement l'objet de négociations entre les États membres et le Parlement européen avant de devenir juridiquement contraignant.

C'est là que la lutte politique se joue. Un groupe de pays membres, emmené par la France, fait pression pour que l'hydrogène d'origine nucléaire soit également pris en compte dans les objectifs en matière d'énergies renouvelables dans le secteur des transports et de l'industrie.

Cet appel de Paris est soutenu par la Bulgarie, la Croatie, la République tchèque, la Hongrie, la Pologne, la Roumanie, la Slovaquie et la Slovénie dans une lettre commune envoyée au début du mois de février. Ces capitales défendent une énergie faible en carbone, une référence codée au nucléaire.

Mais leur demande se heurte à une forte opposition par une autre lettre signée à la mi-mars par l'Autriche, le Danemark, l'Allemagne, l'Irlande, le Luxembourg, le Portugal et l'Espagne.

"_Compter les énergies à faible teneur en carbone dans les objectifs en matière d'énergies renouvelables réduirait plutôt nos efforts en matière de climat et ralentirait les investissements dans les capacités renouvelables supplémentaires dont nous avons tant besoi_n", écrivent les sept signataires.

La composition des deux camps n'est pas surprenante. Chacun avait déjà exprimé sa préférence ou son opposition au rôle de l’énergie nucléaire dans la transition verte de l'UE.

Leur poids politique représente toutefois un défi législatif. Chaque groupe dispose de suffisamment de voix pour former une minorité de blocage et ainsi empêcher l'adoption de la directive révisée sur les énergies renouvelables.

L'option nucléaire

Selon la législation européenne actuelle, l'énergie nucléaire n'est pas considérée comme renouvelable. Les réacteurs sont alimentés par de l'uranium, un élément chimique métallique qui subit une fission nucléaire et se transforme en déchets radioactifs qui restent dangereux pendant des milliers d'années.

De plus, l'extraction et le raffinage de l'uranium sont des processus à forte intensité énergétique.

Les centrales nucléaires sont toutefois considérées comme peu émettrices de carbone. Elles rejettent de la vapeur d'eau et non du CO2 dans l'atmosphère contrairement aux centrales au gaz et au charbon.

Cette différence est mise en avant par les États pro-nucléaires pour défendre cette technologie comme une solution d'avenir pour renforcer l'indépendance énergétique, réduire la pollution et garantir une sécurité d’approvisionnement au cas où la météo réduirait la production d'énergie solaire, éolienne et hydroélectrique.

Cette évaluation n'a toutefois pas convaincu le groupe antinucléaire. Il insiste sur le fait que ce secteur ne devrait pas jouer de rôle dans une société neutre sur le plan climatique.

L'hydrogène représente donc un nouveau chapitre dans un débat qui date depuis longtemps.

Les divergences sont apparues au grand jour mardi lors d'une réunion des ministres de l'Energie, au cours de laquelle les deux camps ont organisé des discussions en marge de la réunion afin de convaincre les indécis.

L'Italie, les Pays-Bas et la Belgique ont participé en tant qu'"observateurs" à une réunion favorable au nucléaire. Amsterdam et Bruxelles ont d’ailleurs aussi participé avec Vilnius à une session organisée par l'Autriche qui s’oppose à l’atome.

La question a fait son chemin dans les discussions de mardi. La rencontre a mis en lumière la ligne de fracture.

Tous les regards étaient tournés vers la France, qui tire plus des deux tiers de son électricité de centrales nucléaires et qui est considérée comme le principal promoteur de l'hydrogène à faible teneur en carbone.

"Nous pouvons essayer de trouver une solution pour les Français, mais le nucléaire n'est pas vert", insiste Teresa Ribera, ministre espagnole de la Transition écologique.

Claude Turmes, ministre luxembourgeois en charge de l'Energie, dénonce ce qu'il appelle "la prise d'otage que fait le gouvernement français dans tous les dossiers".

L'Estonie, qui ne faisait pas partie des lettres communes, a adopté une position critique. "Il est important de préserver l'intégrité de la directive sur les énergies renouvelables. Elle devrait couvrir les sources renouvelables et (leur) accorder un traitement préférentiel, et le nucléaire n'est pas renouvelable", résume la ministre estonienne en charge des Affaires économiques, Riina Sikkut.

La ministre française de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, répond que Paris n'essaye pas de mettre le nucléaire "sur le même pied" que les énergies renouvelables. Elle souligne que le secteur a un "rôle important" à jouer dans la transition.

"Nous commençons à prendre conscience collectivement que la question n'est pas d'opposer le nucléaire aux énergies renouvelables. La question est vraiment de considérer tous les leviers qui peuvent nous permettre d'atteindre la neutralité carbone et de réduire notre consommation ou nos émissions de CO2 d'ici 2030 avec toute la boîte à outils disponible", ajoute Agnès Pannier-Runacher.

Plusieurs États membres d'Europe de l'Est, dont la Pologne, la Croatie, la République tchèque et la Hongrie, ont fait écho à son point de vue.

"Nous croyons fermement que toutes les technologies sans carbone devraient être traitées de la même manière", souligne le ministre tchèque de l’Industrie, Jozef Síkela.

"En ce qui concerne l'hydrogène d'origine nucléaire, nous aimerions qu'il soit reconnu dans le cadre des objectifs de décarbonation. Nous pensons que l'énergie nucléaire ne devrait pas faire l'objet d'une discrimination négative", complète le ministre hongrois des Affaires étrangères, Péter Szijjártó.