L’affaire de Mazan a changé le regard de ces femmes sur les hommes : « Je doute de mes proches »

L’affaire Pelicot et la violence des chefs d’accusation ont ébranlé de nombreuses femmes jusque dans l’intime. Quatre d’entre elles en témoignent auprès du HuffPost.

« Avant, j’avais peur des mecs dans la rue, maintenant, j’ai peur de mon entourage aussi » raconte Chaïma, 27 ans.

« Avant, je me disais que la majorité des hommes étaient des “hommes bien”. Depuis cette affaire, c’est l’inverse : je pars du principe que les hommes que je rencontre peuvent être malveillants jusqu’à preuve du contraire », soupire Chaïma, commerciale de 27 ans. L’affaire en question, c’est celle dite « de Mazan », dans laquelle Dominique Pelicot et 51 accusés sont jugés pour les viols sous soumission chimique de Gisèle Pelicot.

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Un fait divers dont la violence a ébranlé aussi bien dans la sphère publique que dans l’intime. Sur les réseaux sociaux notamment, de nombreuses femmes témoignent d’un changement dans leur rapport aux hommes depuis cette affaire. Méfiance accrue, déception, peur devant certaines réactions au procès… Quatre d’entre elles parlent de leur ressenti au HuffPost.

Des « messieurs tout-le-monde »

Depuis que Siham a entendu parler des crimes sexuels dont sont accusés Dominique Pelicot et ses 51 complices présumés, elle ressent une méfiance accrue dans l’espace public. L’étudiante de 22 ans affirme désormais regarder les hommes différemment. « Inconsciemment, j’analyse leurs gestes dans la rue et dans les transports en commun, explique la jeune femme. Je regarde les moindres actes un peu étranges, les indices potentiels qu’ils pourraient agresser une fille. » Elle confie aussi être plus inquiète que d’habitude quand ses amies sont avec leurs copains et ne répondent pas à ses messages pendant un long moment.

Des soupçons directement liés à la liste des accusés du procès, souvent décrits comme des messieurs tout-le-monde. « Ce qu’on voit, c’est que n’importe quel homme peut être un agresseur, explique-t-elle, avant d’ajouter : je ressens beaucoup de dégoût, de la colère et de la peur. »

Chaïma aussi a été choquée par les profils des accusés. « Ces mecs auraient pu être mon voisin, mon facteur, le pompier que j’appelle en cas de problème… Depuis que j’ai entendu parler de cette affaire, j’ai une sorte de “présomption de culpabilité” », explique la commerciale, dont la méfiance ne concerne plus seulement les inconnus. « Avant, j’avais peur des mecs dans la rue, maintenant, j’ai peur de mon entourage aussi. Parmi les hommes que je côtoie, si quelqu’un était tombé sur l’annonce de Dominique Pelicot, qui y serait allé ? »

« Pour la première fois, j’ai fouillé le téléphone de mon mari »

Les militantes féministes soulignent depuis des années que les agresseurs sexuels se trouvent plus souvent dans l’entourage des victimes que dans la rue. Toutes les femmes interrogées pour cet article le savaient avant l’affaire Pelicot, mais cela ne les a pas empêchées d’être ébranlées par l’horreur des récits du procès. Au point, pour Lola*, de changer de regard sur son mari.

« Ce n’est pas que je n’ai plus confiance en lui, confie l’enseignante de 34 ans, mais je n’arrête pas de me dire que Gisèle Pelicot pensait que son mari l’aimait, que sa fille, prise en photo à son insu, pensait que son père l’aimait. » Quelques jours après le début du procès de Dominique Pelicot, elle raconte avoir fouillé dans le téléphone de son conjoint pour la première fois en 12 ans de relation.

« Je ne sais pas ce que je cherchais, j’ai juste eu une impression d’urgence, comme s’il pouvait me cacher n’importe quoi », soupire-t-elle, avant d’élargir ses craintes à tous les hommes de son entourage. « Je doute aussi bien des inconnus que de mes proches. Je me demande ce que les hommes de ma famille cachent, ce qu’ils pourraient faire s’ils étaient sûrs qu’il n’y aurait aucunes conséquences » explique-t-elle, avant de préciser : « Je me poserais sûrement moins de questions s’ils n’avaient pas l’air aussi indifférents à cette actualité. »

Le « silence assourdissant des hommes »

Cette indifférence supposée est également soulignée par Marie. La quadragénaire, qui a elle-même été victime de soumission chimique, explique être marquée par le « silence assourdissant des hommes » sur cette affaire. « Où sont ceux qui prennent la parole ? s’agace-t-elle. J’ai l’impression qu’ils sont nombreux à nier la réalité, à décrire ces agresseurs présumés comme des monstres ou des fous alors que dans la réalité, ils sont tout à fait banals : ce sont eux, ce sont leurs amis, leurs oncles, leurs frères… »

Un constat qui rend Lola « folle de rage ». « Sur les réseaux sociaux, on voit beaucoup de posts d’hommes qui détournent le sujet pour se plaindre que “Les femmes mettent tous les hommes dans le même panier, alors qu’eux n’ont jamais rien fait de mal”, décrit-elle. Ce fossé entre ces posts et la peur viscérale que nous sommes nombreuses à ressentir en ce moment renforce ma colère et ma méfiance. »

Pour Chaïma, cette peur s’accompagne d’un sentiment de dégoût. Au point que depuis le début du procès, la célibataire ne peut plus s’imaginer avoir un rendez-vous avec un homme. « En ce moment, je suis incapable de me dire que je vais aller boire un verre avec quelqu’un, affirme la commerciale. Le nombre d’accusés dans cette affaire me hante. Je me dis que je peux tomber sur n’importe qui. Entre les agresseurs et violeurs potentiels, ceux qui les défendent quand les victimes prennent la parole, et ceux qui laissent faire, comme tous ceux qui ont vu l’annonce de Dominique Pelicot et qui n’ont rien fait, je ressens trop d’écœurement. » Elle espère que les choses vont évoluer, notamment si « les peines sont à la hauteur » à la fin du procès. « J’espère que cette affaire va faire changer les choses. Mais pour l’instant, j’ai juste très peur. »

* Le prénom a été modifié

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