L’éducation positive « est une forme d’emprise un peu sectaire », selon l’autrice de BD Emma

ÉDUCATION - « Entre être laxiste ou autoritaire, il existe une troisième voix. » Dans son dernier ouvrage intitulé « Des lignes et des cailloux » (Massot Éditions), l’autrice Emma (de son vrai nom Emma Clit) s’attaque à un sujet explosif mais terriblement d’actualité : l’éducation « positive » (ou « bienveillante »).

Un chapitre entier est consacré à la critique de cette forme d’éducation et à ses conséquences sur les parents et les enfants. Dans un débat très polarisé et qui n’en finit plus sur ce sujet, l’autrice offre un regard neuf et non-binaire très rafraîchissant. Interview.

Le HuffPost. Comment vous êtes-vous intéressée au sujet de l’éducation « bienveillante » ?

Emma. Je suis tombée sur ces contenus de parentalité dite « positive » au début de mon parcours parental. J’ai eu mon fils pile au moment où Isabelle Filliozat (ndlr. une psychothérapeute de référence sur ce sujet) avait sorti « J’ai tout essayé » (2015, Marabout). À l’époque, comme beaucoup de parents, je galérais, je cherchais des réponses. Je n’y ai trouvé que des injonctions supplémentaires et aucune solution. Mais je ne m’en suis pas rendu compte tout de suite, c’est ça qui est pernicieux. C’est ma belle-mère, à l’époque, qui a feuilleté ça et qui m’a dit ‘Eh bah dis donc, c’est vachement culpabilisant, ton truc’ (rires).

C’est un peu le travers qu’ont tous les contenus destinés aux femmes : c’est bourré d’injonctions, avec des licornes, des petits poneys, des sourires et des petits commentaires à la fin du genre ‘Mais surtout, prenez soin de vous’, qui font qu’on ne se sent même pas autorisée à se sentir mal de lire ça.

Avec le dessin ci-dessous, vous illustrez la perte de spontanéité et la perte de confiance en soi que peuvent engendrer les règles de l’éducation « bienveillante ».

Je l’ai observé autour de moi : des mamans parties très loin dans ce courant, qui se comportaient presque comme des robots. C’est-à-dire avec des enfants qui crient, qui se roulent par terre, qui hurlent, qui tapent. Et des parents qui se laissent faire, qui leur disent ‘je t’aime’ et essayent de leur faire un câlin, tout en se prenant des pains dans les dents… Bien sûr, je ne dis pas qu’il faut réagir par la violence non plus. Mais je voyais ces parents répéter ces phrases toutes faites, du style ‘Oui, j’accueille ton émotion, je comprends que tu es très en colère, que penserais-tu plutôt de…

Et déjà, je me demande quel bien ça fait à un enfant, parce que pour moi, l’apprentissage de l’humanité, ça passe par la diversité des gens à qui l’on a affaire, et du fait qu’ils sont imparfaits, qu’ils éprouvent de la colère et qu’ils réagissent parfois avec des mots qui dépassent leur pensée. Et ce n’est pas quelque chose qu’il faut créer artificiellement, car cela arrive de toute façon.

Comment vous êtes-vous documentée sur ce sujet polémique ?

La science, beaucoup ! (rires) Après j’ai sous-mariné pendant 6 mois dans des groupes d’éducation « positive » sur les réseaux sociaux. Les livres sur l’éducation « bienveillante », je les avais lus. Et puis comme c’est un courant qui fait appel à la science, je suis allée regarder ce qu’il y avait du côté de la science. Et ça m’a permis de découvrir qu’on ne sait rien, à part les évidences sur le fait qu’il ne faut pas frapper son enfant ou l’humilier, et qu’il ne faut pas mettre sous condition l’amour qu’on a pour lui. À part ça, on ne sait rien !

Vous abordez la question des violences éducatives ordinaires (VEO). Dans l’éducation « positive », parmi les violences, on trouve des choses comme changer la couche de son enfant sans lui demander son avis ou choisir le menu de son repas. Quels sont les problèmes d’un tel discours ?

En discutant avec des gens en préambule de la BD, j’ai posé des questions autour de moi. Il y a vraiment un discours de façade, tout au plus les mamans disent que c’est dur et c’est tout. Mais si on commence à dire ‘Voilà, moi un jour j’ai fait ça, j’ai crié sur mon gamin’, on se rend compte qu’il y a très peu de mamans qui n’ont pas déjà pété un plomb. Un bon nombre a déjà levé la main sur leur enfant.

Du coup, tenir un discours qui dit que crier ou froncer les sourcils ce n’est pas bien, alors qu’on a un niveau d’épuisement qui fait qu’on fait des trucs qu’on ne devrait pas faire… Ça ne peut être, à mon avis, que contre-productif. Il faut parler de l’épuisement parental et des envies de violences, parfois, liées à cet épuisement et à la solitude des mères.

Souvent, l’éducation « bienveillante » alerte sur les conséquences « irréversibles » des violences éducatives ordinaires sur les enfants…

Comme ce courant fait appel à des arguments scientifiques, ça écrase beaucoup de parents. J’en ai vu vraiment énormément dans les forums. Plusieurs fois par jour, des mamans postaient pour dire qu’elles avaient élevé le ton et elles étaient terrorisées, elles n’avaient pas dormi de la nuit, persuadées qu’elles avaient fait perdre des neurones à leurs enfants.

Est-ce un sujet délicat à aborder, selon vous ?

C’est une forme d’emprise un peu sectaire, qui se fonde sur le fait que ces mères veulent faire au mieux pour leur enfant. C’est un sujet très compliqué à aborder avec les personnes concernées, car c’est une forte croyance et il y a aussi ce que l’on appelle « une escalade d’engagement » : on a tellement investi dans quelque chose, ce qui nous a coupés aussi du reste des gens, qu’il est très coûteux d’admettre qu’on s’est trompé et de changer d’axe.

Après, il faut aussi se méfier des discours type Caroline Goldman, qui disent que l’enfant a besoin d’être confronté de force et artificiellement à la frustration pour devenir un être humain. Il y a aussi Didier Pleux, qui a écrit tout un livre sur comment créer la frustration chez l’enfant, où il conseille de laisser pleurer très tôt le bébé. De l’autre côté, l’éducation « positive » dit qu’il ne faut absolument pas le laisser pleurer. Moi, je suis entre les deux.

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