« L’éducation à la sexualité à l’école est nécessaire, mon travail de procureure me le prouve au quotidien » - Témoignage

« Qu’on fasse de cette éducation une question politique, au nom d’une orientation supposée “anti-wokiste”, cela n’a pas de sens. Ce sont les enfants qui le paient. »
Westend61 / Getty Images/Westend61 « Qu’on fasse de cette éducation une question politique, au nom d’une orientation supposée “anti-wokiste”, cela n’a pas de sens. Ce sont les enfants qui le paient. »

PRISE DE PAROLE - Je suis vice-procureure dans une ville moyenne, plus spécifiquement en charge des atteintes aux personnes. Je traite entre autres des affaires de violences intrafamiliales, notamment sur des mineurs, et donc, des cas d’inceste et de violences sexuelles. Je suis atterrée par les polémiques sur l’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle (EVARS) à l’école.

En maternelle et à l’école primaire, voici à quoi ressemblent les cours d’éducation à la vie affective et sexuelle

En tant que magistrate, je vois tous les jours des cas d’agressions sexuelles et de viols sur mineur commis par des proches. Ces délits n’ont pas de marqueur social : ils existent dans tous les milieux sociaux ou professionnels, à tous les degrés d’insertion dans la société. Les études estiment que 160 000 enfants en sont victimes chaque année, un chiffre probablement sous-estimé.

Dans la plupart des cas, le danger, pour les mineurs, vient de l’endroit où ils vivent. Dans ces conditions, comment laisser exclusivement à la famille la capacité de faire l’éducation à la sexualité des enfants ?

Offrir un autre lieu d’éducation à la sexualité

Tous les magistrats du parquet traitent chaque semaine des cas d’inceste. C’est un crève-cœur perpétuel, parce que les mêmes schémas se répètent à chaque fois. D’abord, l’agresseur fait croire à l’enfant que ce qui se passe est normal, qu’un membre de la famille qui en aime un autre fait ça, que c’est une preuve d’amour. Or, les enfants n’ont aucun accès à la sphère sexuelle et n’ont aucun moyen de comprendre ce qui se passe. Pour eux, cela crée une « normalité » anormale.

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L’autre ressort, c’est le secret. Pour imposer le silence, les agresseurs répètent souvent à leurs victimes que si elles parlent, elles feront de la peine à leur famille, qu’elles seront placées en foyer, que quelqu’un ira en prison… Pour un enfant c’est terrifiant. Les faits peuvent être tus pendant très longtemps, tant cela peut être difficile d’en parler.

Bien sûr que dans les familles fonctionnelles, les parents et les proches ont un rôle à jouer dans l’éducation sexuelle. Il y a plein de foyers dans lesquels ce n’est pas un tabou, et où les parents répondent aux questions de leurs enfants à chaque âge. Mais dans les cas d’inceste, comment aide-t-on les victimes ? Refuser que l’école puisse participer à l’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle, c’est laisser aux agresseurs la possibilité d’être les seuls à expliquer comment ça se passe. Et c’est accepter de laisser au bord de la route au moins 160 000 victimes par an, pour qui la famille n’est pas un lieu de sécurité.

Libérer la parole sur les violences intrafamiliales

Pour moi, il est très clair qu’il doit y avoir au moins un autre endroit, en dehors de la famille, où les valeurs de base sont enseignées. On peut tout à fait expliquer à un enfant de 4 ou 5 ans que son intimité lui appartient, que personne n’a le droit de la toucher et que si cela arrive, ce n’est pas normal. Grâce à ce discours, on pourra peut-être faire une école où la parole pourra se libérer, où on lèvera le secret et cette impression anormale de normalité mise en place par les agresseurs.

Or, aider à lever le silence, c’est aussi aider à ce que les faits puissent durer moins longtemps, qu’ils soient dénoncés plus vite. Et quand on dénonce un agresseur sexuel, éventuellement, on évite qu’il fasse d’autres victimes. Je ne dis pas que l’EVARS à l’école va faire baisser les violences sexuelles, mais plutôt que c’est aussi une manière de participer à se saisir de ce problème de société immense qu’est l’inceste, sur lequel nous sommes très en retard en matière de prise en charge. Nous le devons à ces enfants.

Ce sont les enfants qui paient

Évidemment, les intervenants en milieu scolaire doivent être neutres et formés sur le sujet. Comme tout enseignement, il doit être bordé dans son contenu et dans sa mise en place par l’Éducation Nationale. Mais ce que j’entends, c’est que, par peur d’éventuels « dérapages » du contenu de ces cours, on estime qu’il est légitime de ne jamais les mettre en place, et de laisser des enfants sans personne à qui parler de ce qui se passe chez eux. Cette évaluation de la balance entre les risques et les bénéfices me paraît inentendable.

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Au-delà des violences sexuelles, il y a de nombreux sujets que l’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle peut aborder. C’est également un espace où faire de la prévention vis-à-vis de la pornographie, à laquelle les enfants ont accès de plus en plus tôt, du consentement, des photos intimes, du respect. L’école construit des citoyens, et cela vaut aussi pour leur relation à l’autre, y compris dans la sphère affective. Qu’on fasse de cette éducation une question politique, au nom d’une orientation supposée « anti-wokiste », cela n’a pas de sens selon moi. Et ce sont les enfants qui le paient.

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