Des législatives à l'interview de Macron, comment le NFP s'est enlisé et a perdu son avance

Arrivé premier des élections législatives avec 182 sièges, devant le camp présidentiel et le Rassemblement national, le Nouveau Front populaire a-t-il loupé sa "fenêtre" de tir pour espérer gouverner, comme l'a déploré mardi 23 juillet le député ex-LFI, François Ruffin sur France 2?

Dans une interview sur France 2, Emmanuel Macron a en effet balayé d'un revers de main le nom de Lucie Castets, la première ministrable des partis de gauche. Il aura fallu plus de quinze jours de négociations et de divisions pour les insoumis, les socialistes, les écologistes et les communistes afin de s'accorder sur cette candidate commune. Ce nom "n'est pas le sujet", estime le président de la République qui attend qu'une coalition se forme et que les Jeux olympiques passent pour désigner son futur chef de gouvernement.

Ce mercredi 24 juillet, les leaders de la gauche se sont succédé pour faire entendre leur voix et celle de leur challengeuse inconnue du grand public: appel à la "mobilisation" pour faire pression sur l'Élysée, à la "démission" du chef de l'État... Mais les revendications du NFP sont-elles encore audibles? À force de s'enfermer pour ne négocier qu'avec elle-même en multipliant les divisions internes, l'union de la gauche pourrait avoir loupé l'étape de la course contre la montre pour tenter de gouverner.

Divisions sur le programme

Le NFP, ce n'est pas "refaire la Nupes". Le candidat PS-place publique, Raphaël Glucksmann, vainqueur à gauche des européennes du 9 juin, l'avait martelé au moment du scrutin des législatives. En 2022, l'union du Parti socialiste, de la France insoumise, des Verts et des communistes s'étaite construit autour du projet d'envoyer Jean-Luc Mélenchon à Matignon. En 2024, il s'articule autour d'un programme commun.

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Ce cap, pas question d'y déroger insistent les Insoumis. "Nous ne gouvernerons que pour appliquer notre programme" a prévenu pendant l'entre-deux-tours le coordinateur du mouvement, Manuel Bompard.

À première inflexibilité, première division. Chez les Écologistes, on préfère arrondir les angles. La secrétaire nationale des Verts, Marine Tondelier, ne refuse pas une éventuelle assemblée plurielle comme l'aimerait le Premier ministre Gabriel Attal. Elle estime en effet que sans majorité absolue, "on ne pourra pas faire 100 % du programme tout de suite".

Division sur le premier ministrable

Après la question du programme pendant l'entre-deux-tours, c'est le nom du candidat pour Matignon à imposer à Emmanuel Macron qui créée la discorde post-victoire de la gauche aux législatives.

Pendant plusieurs jours, ni celui d'Huguette Bello proposé par les insoumis ni celui de Laurence Tubiana, favori des socialistes n'a réussi à faire consensus. Jusqu'au point de rupture, lundi 15 juillet, où "aucune discussion supplémentaire sur la formation du gouvernement" n'aura lieu "tant que la candidature unique de la présidence de l’Assemblée nationale n’est pas acquise et que le vote n’a pas eu lieu", ont indiqué les mélenchonistes.

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Après de nouvelles tractations pour sortir le nom du communiste André Chassaigne comme candidat du NFP à la présidence de l'hémicycle et un perchoir loupé de peu pour la gauche (la présidente sortante Renaissance Yaël Braun-Pivet l'a emporté avec seulement 13 voix d'avance à l'issue du troisième tour, NDLR), la gauche cherche toujours son nom. Et se divise alors sur la méthode de désignation. Tandis que chaque jour Matignon s'éloigne davantage.

Divisions sur la méthode

Vote ou pas vote des députés pour faire émerger le potentiel futur locataire de Matignon? Cette idée venue du patron des socialistes, Olivier Faure, se heurte au refus de La France insoumise. Après l'ultimatum des Insoumis quant au pré-vote de la présidence de l'Assemblée, le PS tente lui aussi un coup de pression.

"Le temps presse (...) L’urgence sociale nous oblige. Le Parti socialiste demande donc que ce vote des députés intervienne au plus tard mardi 23 juillet", écrit alors le PS dans un communiqué, vendredi 19 juillet.

C'est finalement l'annonce de la première interview depuis le second tour des législatives d'Emmanuel Macron qui va précipiter l'issue d'un consensus. À 19h, juste avant la prise de parole du chef de l'État, le NFP accouche d'un nom: Lucie Castets. Aussitôt balayé par la présidence de la République.

Pour Macron, Castets c'est non

"Il est faux de dire que le Nouveau Front populaire aurait une majorité, quelle qu'elle soit", a déclaré Emmanuel Macron sur France 2 mardi 23 juillet. "La question n'est pas un nom. La question, c'est quelle majorité peut se dégager à l'Assemblée", a-t-il ajouté. Camp présidentiel et droite refusent en effet catégoriquement de pactiser avec la branche Insoumise du NFP. À gauche, pas question de se séparer aujourd'hui des mélenchonistes.

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Furieux de voir cette candidature rejetée pour Matignon, le leader de La France insoumise Jean-Luc Mélenchon a accusé le président de vouloir "imposer de force son front républicain", assurant qu'il n'était "pas question" de "faire une alliance avec lui." "Il faut qu’Emmanuel Macron sorte du déni. Nous avons gagné, nous avons un programme, nous avons une Première ministre", a abondé Marine Tondelier sur X.

Plus de 15 jours se sont écoulés depuis le scrutin des législatives quand le NFP s'est enfin accordé sur un nom..."L’impatience citoyenne légitimement monte", pressait Olivier Faure le 18 juillet. "Si on ne trouve pas de solutions dans les heures qui viennent ou dans les jours qui viennent, ce serait un véritable naufrage", prévenait Fabien Roussel la veille. Le nom d'une inconnue du grand public enfin sortie du chapeau du NFP au dernier moment, la déroute a-t-elle été évitée pour autant?

Un départ raté qui impatiente les électeurs

Selon un sondage Elabe pour BFMTV publié le 17 juillet, deux Français sur trois estimaient que le NFP mettait trop de temps à s'accorder sur le nom d'un candidat pour Matignon. Un agacement ressenti également par les électeurs de gauche, puisque 50% d'entre eux "partagaient également cette opinion", d'après cette même enquête.

"On ne peut pas susciter l'espoir et décevoir autant", fustigeait la cheffe des Verts, Marine Tondelier le jour de la publication de ce sondage. Sur France 2, elle s'est dit "en colère", "écœurée", "fatiguée" et "désolée du spectacle" que le Nouveau Front populaire "donne aux Françaises et aux Français".

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"La politique, c'est se saisir du kairos du moment. On avait une fenêtre d'opportunité (...) on pouvait se glisser à l'intérieur pour dire voilà, peut-être qu'on ne fera pas tout, mais il y a des choses qu'on peut faire", a regretté l'ancien député LFI François Ruffin sur France 2 post-interview présidentielle.

Chacun se renvoie la balle

Pendant les deux semaines à essayer de se mettre d'accord sur le remplaçant potentiel de Gabriel Attal, les partis de gauche se sont renvoyés la responsabilité de cet échec. Chacun y allant de son désarroi. Le coordinateur de La France insoumise, Manuel Bompard, imputait la lenteur des négociations à "l'entêtement des socialistes".

Sur BFMTV, l'insoumis accusait ainsi Olivier Faure de faire preuve d'"une opposition totale à toutes les propositions autres que celles qui sont issues du Parti socialiste, et en l'occurrence la sienne". Le principal intéressé arguait pour sa défense qu'une candidature à Matignon exige discussion et compromis.

Un programme qui n'a pas trouvé de coalition en dehors de la gauche pour pouvoir être appliqué, une présidence de l'Assemblée loupée de peu, un nom pour Matignon choisi dans la douleur et arrivé bien tard... Le Nouveau Front populaire peine à transformer le succès surprise des législatives en victoire politique avant l'ouverture des Jeux olympiques.

Cette fenêtre fermée, l'ex-insoumis François Ruffin espère qu'une nouvelle puisse se "réouvrir à la rentrée", reconnaissant que le NFP était "de fait" dans la trêve politique évoquée par Emmanuel Macron lundi 22 juillet, "faute de combattants" à gauche.

Article original publié sur BFMTV.com