A l'école Kabaivanska en Bulgarie, les leçons d'une légende de l'opéra
A bientôt 90 ans, elle ne lâche pas la rampe: après avoir conquis les plus grandes scènes lyriques, la soprano bulgare Raina Kabaivanska continue de donner de la voix devant les étudiants de ses très courues master class.
"En quittant les planches, j'ai ressenti le besoin profond de rester dans la musique", dit à l'AFP entre deux répétitions à Sofia cette légende de l'opéra, naturalisée italienne, qui côtoya les plus grands ténors jusqu'à son dernier concert en 2014.
"Il faut du talent", lance la diva face à des élèves conquis. "Mais le talent, ce n'est pas uniquement des aptitudes, c'est aussi une capacité à voir le monde de manière différente: on est né pour chanter, tout simplement".
- "Force" de la jeunesse -
Alors que les impétrants se succèdent pour interpréter leurs arias lors d'une répétition finale avant le gala annuel, leur professeure ne peut rester en place.
Hochements de tête, gestes amples... elle quitte soudainement son siège dans l'ombre pour se rendre sur le devant de la scène, guidant délicatement les chanteurs.
"Côtoyer les jeunes, cela donne de la force à la dame âgée que je suis", s'amuse-t-elle, cheveux blancs sur impeccable rouge à lèvres, alors qu'au moins 200 apprentis du monde entier sont passés par les cours qu'elle offre chaque automne dans une université privée de Sofia.
"Ma vie, c'est la musique", résume Raina Kabaivanska. "C'est un tel privilège, un tel bonheur".
Née en décembre 1934 à Bourgas, au bord de la mer Noire, elle apprend le piano enfant et fredonnant les airs qu'elle joue, se fait vite remarquer. Elle intègre alors la chorale de l'école puis le Conservatoire.
Ses qualités vocales, sa silhouette élégante et son sourire radieux la distinguent dès ses débuts à 23 ans dans son pays. Bientôt, elle s'envole en Italie après l'obtention d'une bourse du gouvernement.
Sa carrière prend forme à Milan et se poursuit de New York à Paris, en passant par Londres puis Moscou. Spécialiste du répertoire de Puccini et de Verdi, "la Kabaivanska" incarne Tosca plus de 400 fois ou encore Manon Lescaut, et se produit aux bras de Placido Domingo, José Carreras et Luciano Pavarotti, aux funérailles duquel elle aura l'honneur de chanter.
"Ses mimiques, ses gestes comme sa prononciation rendaient toute performance unique", expliquait il y a quelques années à l'AFP le directeur de l'Opéra de Sofia Plamen Kartalov, qui la connaît très bien.
- "Montrer la voie" -
Parmi ses élèves les plus prometteurs, près de la moitié l'ont suivie en Italie pour étudier à ses côtés dans des instituts prestigieux.
De l'Italie à la Corée du Sud, Maria Agresta, Vittoria Yeo, Andrea Carè ou Simon Lim... la liste des jeunes pousses passées par ses conseils experts est tellement longue qu'on parle d'une "école Kabaivanska".
Cette année encore, des dizaines de candidats se sont présentés à l'audition pour seulement 14 élus.
Sa mission: "leur montrer la voie" dans un univers "pas facile", "l'art ayant perdu de son aura auprès du grand public", regrette-t-elle.
Ses disciples sont visiblement sous son charme, comme la mezzo-soprano géorgienne Baia Saganelidze, qui dit "tout apprendre" auprès d'elle: la technique mais aussi la prestance sur scène, l'incarnation d'un rôle, le rapport avec le public.
"Nous discutons de chaque détail et je suis si heureuse qu'elle puisse partager son savoir avec nous", affirme la trentenaire en aparté.
Le roumain Andrei Miclea, voix de basse, se sent lui aussi "très honoré" de faire partie de l'aventure avec "la maestra", car dans ce métier, il y a un dicton qui dit qu'il faut +prendre un peu à tout le monde+", avance, avec un brin de malice, le jeune homme de 25 ans.
Cela tombe bien: pédagogue exigeante et bardée de distinctions, Raina Kabaivanska, dont l'idéal demeure l'inégalée Maria Callas, ne se lasse pas de donner.
Après un quart de siècle à transmettre à la nouvelle génération, rendez-vous est déjà pris pour 2025. Elle aura 90 ans.
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