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Kenya: Odinga "le mystérieux", social-démocrate au pays des inégalités

Photo Par Jennifer Huxta - A 68 ans, Raila Odinga, vétéran de la scène politique au Kenya, mène sa troisième, et sans doute dernière, tentative d'accéder à la présidence, en se réclamant d'un programme social-démocrate dans un pays marqué par les inégalités

A 68 ans, Raila Odinga, vétéran de la scène politique au Kenya, mène sa troisième, et sans doute dernière, tentative d'accéder à la présidence, en se réclamant d'un programme social-démocrate dans un pays marqué par les inégalités. Au sein de sa communauté Luo -- celle-là même dont le président américain Barack Obama est originaire par son père --, M. Odinga est surnommé "Agwambo", "le mystérieux". Et malgré des décennies d'activité politique, le Premier ministre sortant demeure une énigme pour beaucoup de ses concitoyens, certains voyant en lui le réformateur social dont le pays a besoin, d'autres un populiste prompt à instrumentaliser les jalousies entre communautés. Ce côté insaisissable apparaît dans un entretien accordé récemment à l'AFP: cet homme imposant physiquement, très noir de peau, donnait l'impression d'une sorte de Bouddha impénétrable, aux yeux mi-clos et à la diction lente et réfléchie. Il avait alors rappelé comment "la dernière fois, les gens s'étaient sentis trompés et s'étaient révoltés en conséquence", en référence aux violences nées de sa défaite face au président sortant Mwai Kibaki lors du précédent scrutin en décembre 2007. Les affrontements tribaux avaient fait plus de mille morts et des centaines de milliers de déplacés, avant qu'un compromis imposé par la communauté internationale ne fasse de M. Odinga le Premier ministre du chef de l'Etat réélu. Cette hantise de se faire à nouveau voler une élection, qu'il estimait alors avoir gagnée, a dominé les derniers jours de la campagne de M. Odinga ce mois-ci. Lui et ses partisans ont mis en garde à plusieurs reprises contre le risque de fraude, tout en assurant qu'il reconnaitrait une défaite à la régulière. Derrière lui, une large part de la communauté Luo estime avoir été exclue du pouvoir depuis l'indépendance en 1963. "Notre moment est venu. Nous ne pouvons pas être dirigés par la même poignée de communautés tout le temps", relevait de façon assez symptomatique mardi auprès de l'AFP Benson Okello, un conducteur de bus de Kisumu, le fief luo d'Odinga dans l'ouest du Kenya. Raila Odinga a pour sa part certains comptes à régler avec l'histoire. Son père Jaramogi Oginga Odinga, bref vice-président du pays, a été le grand perdant de la lutte post-indépendance pour le pouvoir, au profit du premier chef d'Etat Jomo Kenyatta. Leurs deux fils se retrouvent aujourd'hui face à face, Uhuru Kenyatta étant le principal concurrent de Raila Odinga pour le poste suprême. Raila Odinga a aussi payé son opposition au régime de parti unique en vigueur au Kenya jusqu'en 1992 par près de huit ans de détention sans procès, dans les années 80 et jusqu'en 1991. A l'époque de la Guerre froide, son père Oginga Odinga faisait figure d'épouvantail pour le monde occidental, inquiet de sa proximité avec l'URSS. Ironie de l'histoire, c'est Raila Odinga qui a été implicitement pendant la campagne "le chouchou de la communauté internationale", comme le reconnaissait à l'AFP un de ses représentants à Nairobi sous couvert d'anonymat. Uhuru Kenyatta, lui, sent le souffre depuis son inculpation par la Cour pénale internationale pour son rôle présumé dans les dernières violences post-électorales. Epinglé comme "socialiste" par ses adversaires, Raila Odinga a certes fait ses études d'ingénieur à Leipzig, en Allemagne de l'Est communiste, et il a prénommé son premier fils Fidel, en hommage au révolutionnaire cubain. Mais l'intéressé a rappelé à l'AFP qu'il est aussi, comme son père, "un entrepreneur" qui a notamment racheté une usine d'éthanol, fabriqué à partir de mélasse de sucre de canne. De façon plus discutable, il a aussi lancé une entreprise d'importation pétrolière alors qu'il était ministre de l'Energie, nommé en 2001 après son ralliement tardif au président autocrate Daniel arap Moi qui l'avait fait emprisonner dix ans plus tôt. "C'est un pragmatique", commente un diplomate occidental à Nairobi. "Il n'est jamais fini. Quand tout paraît se liguer contre lui, il sort un lapin de son chapeau et il se réinvente", ajoute l'analyste politique Mutahi Ngunyi, en référence à ses échecs précédents à la présidentielle en 1997 puis en 2007.