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Journée mondiale de l'eau : "On n'a pas conscience que l'eau est une ressource importante"

Le lac de Montbel (Ariège) à un niveau extrêmement bas, le 21 février 2023 (Photo by Valentine CHAPUIS / AFP)
Le lac de Montbel (Ariège) à un niveau extrêmement bas, le 21 février 2023 (Photo by Valentine CHAPUIS / AFP)

Après une sécheresse hivernale historique, la journée mondiale de l'eau est l'occasion de s'interroger sur l'avenir de la gestion de la ressource en France.

32 jours sans pluie, un niveau des nappes phréatiques "peu satisfaisant" et qui s'est "dégradé" à l'échelle nationale selon le BRGM, des pluies du mois de mars qui pourraient ne pas suffire à compenser la sécheresse hivernale, et des agriculteurs, des pêcheurs, des maires qui redoutent une "guerre de l'eau"...

Jamais en France la question de l'eau et de sa gestion n'avaient été autant soulevée que depuis la sécheresse de l'été 2022, quand la quasi-totalité du territoire métropolitain était soumise à des restrictions d'eau plus ou moins sévères.

"On n'a pas conscience que l'eau est une ressource importante"

"La France a toujours vécu comme si l'eau était une richesse infinie. On n'a pas pris conscience que l'eau est une ressource importante", déplore Davide Faranda, climatologue au CNRS. "Quand les personnes utilisent de l'eau, elles ne savent pas d'où elle vient. Cela vient d'un tuyau, mais on n'a pas idée des conséquences de certains de nos gestes du quotidien. C'est une question d'apprentissage, il faut informer sur les conséquences de nos gestes", plaide de son côté Éric Sauquet, directeur de recherche en hydrologie à l'INRAE de Lyon.

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Preuve de cette vision de l'eau à changer, le maire d'Elne, commune de 9 364 habitants située près de Perpignan, interdit toute nouvelle construction de piscine, de puits ou de forage chez les particuliers, jusqu'au 30 avril. "Comment je peux expliquer à une famille qui cultive son jardin potager qu’elle ne peut plus l’arroser, mais que son voisin, qui fait construire une piscine, va pouvoir la remplir en juin ? C’est quelque chose de l’ordre de l’immoral", justifie l'élu auprès de l'Obs.

"Il y a une marge avant de parler de sacrifice"

Des restrictions dues aux sécheresses qui vont se répéter voire s'accentuer sous l'effet du réchauffement climatique, comme le démonte une étude conduite par une équipe du CNRS et publié dans la revue Environnemental Research Letters. "Il faut simultanément de l'adaptation et l'atténuation de nos émissions de gaz à effets de serre si on ne veut pas qu'en 2100 la gestion de l'eau ne soit particulièrement complexe en France", nous explique le directeur de recherche en hydrologie à l'INRAE de Lyon.

Une adaptation au niveau individuel qui passe par "éviter ce qui n’est pas indispensable, privilégier des activités économes en eau et qui évitent le gaspillage. Pour l’OMS, la quantité adéquate d’eau potable représente au minimum 20 litres d’eau par habitant et par jour. En 2020, en moyenne, on consommait en France 149 litres par habitant par jour. Il y a donc une marge avant de parler de sacrifice. Mais ce n’est pas qu’un problème de petits gestes individuels", nous détaille Magali Reghezza, membre du Haut conseil pour le climat.

"Des changements radicaux"

Au-delà des gestes individuels, l'adaptation doit être plus globale, martèlent les spécialistes. "Il faut avoir le courage de dire qu'on surexploite les capacités actuelles, en eau notamment. Sauf qu'on ne peut pas vouloir maintenir le modèle économique actuel, qui repose sur une surexploitation de l'environnement, et se préparer à l'avenir. Cette adaptation au changement climatique implique des changements radicaux, qui remettent en cause le modèle de pensée économique actuel qu'ont les dirigeants", estime de son côté l’hydroclimatologue Agnès Ducharne.

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Une adaptation qui va devoir se faire rapidement pour certains secteurs comme l'agriculture ou le tourisme : "On va devoir regarder les usages, pratiques et consommations qui ne seront plus possible avec l’intensité de la sécheresse actuelle. Dans l’agriculture, certaines variétés devront être changées, voire des espèces nouvelles plantées", poursuit Magali Reghezza.

La fin du maïs en France ?

Une adaptation de l'agriculture qui risque de devoir passer par de difficiles changements. "L'Italie, les pays méditerranéens, avec moins de précipitations, ont des cultures différentes : olives, tomates, aubergines, qui demandent peu d'eau et aiment les climats secs. Le maïs, qui demande beaucoup d'eau, et la vigne ont il encore leur place en France ? Ne faut-il pas plutôt avoir des cultures similaires aux pays méditerranéens ?", s'interroge Dominique Faranda, climatologue au CNRS.

"On entend parfois qu'il 'suffirait'' de changer de culture. Mais il faut que toute la filière, jusqu'aux consommateurs, s'adapte. Sans débouchés pour sa production, donc sans revenu, l'agriculteur ne changera pas sa culture. On doit tous s'adapter", répond Eric Sauquet.

"La ressource en eau est et sera de moins en moins disponible"

"On retrouve le même problème pour le tourisme ou l’industrie. Pour l’énergie, l’hydro-électricité est en première ligne. Les coûts liés aux transformations et aux reconversions sont énormes, et s’ils ne sont pas anticipés, ils pèseront très lourd et seront socialement difficilement supportables. Mais, même si c’est dur à admettre, la ressource en eau est et sera de moins en moins disponible, quoique largement suffisante pour couvrir les besoins essentiels, pas seulement vitaux, mais qui permettent de garantir notre bien-être" conclut Magali Reghezza.

La sobriété pourrait devenir un mot ancré dans le langage politique. Le 24 août dernier, Emmanuel Macron affirmait que nous vivions "la fin de l'abondance". Après le plan de sobriété énergétique mis en place cet été, un plan de sobriété de la ressource en eau doit voir le jour courant mars.

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