Journée nationale des aidants : dans les fratries, ce sont souvent les sœurs qui s’y collent

Les femmes sont surreprésentées parmi les personnes se déclarant proches aidants : 56 %.
Shestock / Getty Images/Tetra images RF Les femmes sont surreprésentées parmi les personnes se déclarant proches aidants : 56 %.

FAMILLE - « C’est comme si c’était une mission, un rôle assigné depuis toujours. » Seule fille dans une fratrie de cinq enfants, c’est Éléonore*, 60 ans, qui s’occupe en grande majorité de sa mère, aujourd’hui en Ehpad. Elle va lui rendre visite tous les jours, quand ses frères se contentent de visites ponctuelles et d’une présence lointaine.

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Comme elle, une personne sur quatre, entre 55 et 64 ans, est aujourd’hui aidante (selon les chiffres de la Drees). Et comme elle, les femmes y sont surreprésentées parmi les personnes se déclarant « proches aidants » : 56 %, alors qu’elles comptent pour 52 % de la population adulte en France. Un constat qui se retrouve quasiment dans chaque tranche d’âge.

Dans les fratries, c’est souvent aux femmes qu’incombe la mission de s’occuper de parents ou de proches en situation de perte d’autonomie. C’est ainsi qu’a été élevée Éléonore, jeune retraitée qui vit dans le sud-ouest de la France. « Dès l’enfance, il y avait une différence de traitement dans l’éducation par rapport à mes frères, se souvient-elle. J’ai été élevée un peu à l’ancienne, à la latine. J’étais toujours à côté de ma mère ou de ma grand-mère. »

Alors qu’elle avait un métier prenant et une fille à élever seule, c’est « naturellement » qu’elle a endossé le rôle de soutien familial auprès de ses parents, depuis une quinzaine d’années. Elle s’est d’abord occupée de son père, décédé depuis. Et désormais de sa mère, aujourd’hui très âgée et très malade. Un rôle qu’elle n’a « jamais contesté », même si elle trouve parfois « injuste » que la charge ne soit « pas répartie ». « C’est le fait d’être dans une fratrie et de se sentir seule », résume-t-elle.

« N’embête pas tes frères avec ça »

Pour elle, la responsabilité de cette charge inégalement partagée vient aussi de sa propre mère. « Quand je disais que j’allais demander à l’un ou à l’autre de mes frères de m’aider, elle me disait “Non, ne les embête pas avec ça”. Ça voulait dire que c’était à moi de m’en occuper », souligne-t-elle. Avec l’idée sous-jacente « qu’il vaut mieux avoir des filles que des garçons. Parce que les garçons, c’est plus distant, c’est indépendant, ils font ce qu’ils veulent. »

Louisa, seule fille d’une fratrie de six enfants, est également « devenue aidante » en 2018, lorsque sa mère est tombée malade. Sans se poser de questions. Elle a alors 38 ans. « C’est ma tante qui m’a appelée ce jour-là. Je n’étais pourtant pas la plus proche géographiquement. Mais c’était une évidence dans cette famille, que si maman ou papa était malade, il fallait appeler leur fille en priorité, se souvient-elle. Je n’ai pas eu le choix. »

Elle a donc « tout pris en main ». « J’ai cramé tous mes congés, trouvé des arrangements avec mon employeur, demandé trois jours de télétravail par semaine, ce qui a l’époque n’était pas courant. Ça a été une lutte », détaille Louisa. Car lorsqu’elle essaye de s’organiser avec ses frères, ils ne sont « pas très coopératifs ». « Mon petit frère, qui est dans la restauration, aide quand il a des jours de congé », nuance-t-elle, mais les autres non. Certains avancent qu’ils ont une famille, pas le temps.

« Comment je ferais si ta sœur n’était pas là ? »

Éléonore n’en a jamais voulu à ses frères, même si elle estime que les excuses avancées, d’emploi du temps ou de disponibilité, ne sont pas valables. « Même quand je travaillais, je me dégageais du temps et j’y allais, avant le travail, parfois à 7 heures du matin ou dans la journée pour y faire un saut », replace-t-elle, qualifiant les excuses de ses frères de « faux prétextes. » Quand elle tente de leur dire quelque chose, « ils compatissent », sourit-elle.

« Un jour, ma mère a dit à un de mes frères : “Comment je ferais si ta sœur n’était pas là ?” Et il lui a répondu : “Tu l’as dit, elle est là”. Et après, pour mon anniversaire, il y en a un qui m’a offert une journée au spa pour me détendre », note-t-elle, non sans ironie. Pourtant, Éléonore ne ressent pas de colère vis-à-vis d’eux : « Je ne me heurte pas à mes frères. C’est que la personne n’a pas envie de voir ses parents, et tant pis. »

De son côté, Louisa a longtemps été « en colère » contre ses frères. « Je me disais : je ne comprends pas, on a les mêmes parents. Comment peut-on se lever le matin, se regarder dans la glace et se dire qu’on laisse tomber sa sœur, ses parents ? », s’interroge-t-elle. Au fil des années, elle a entrepris une thérapie pour « accepter ». Sans approuver pour autant. « On n’était pas très proches, mais certains sont complètement descendus dans mon estime. Je me suis rendue compte qu’ils n’étaient pas là et que je ne pouvais rien attendre d’eux. »

« Parfois, je me sens comme une enfant unique »

En revanche, elle a pu compter sur ses cousins et cousines très présents. Et puis au moment de la mort récente de son père, atteint d’Alzheimer, un de ses frères l’a surnommée « le général ». Ce qui ne l’a pas franchement fait rire. « C’est sûrement sa façon à lui de gérer le deuil, avance-t-elle. Mais le “général”, il est là depuis des années à tout gérer… Je vais continuer pour aider maman. » Pour Louisa, sa situation de femme célibataire de 44 ans sans enfant a pu jouer. « C’est comme si on n’avait pas de vie propre, de projets, d’ambitions ou de temps à consacrer à des choses », s’indigne-t-elle.

Au point de se dire que si elle n’avait pas endossé ce rôle d’aidante, elle aurait pu envisager un projet d’enfant. « Mais avec la charge de ma mère, ce n’était plus possible. Aujourd’hui, je suis en paix avec ça. Je n’ai pas de regret, mais devenir aidant, ça change la vie. » Si elle a un rêve, celui de partir en voyage au Québec, ce sera « pour plus tard ». Elle s’interdit de s’éloigner « trop longtemps ou trop loin » et passe la plupart de ses vacances en famille, qu’elle nomme des « déplacements familiaux ». Parce que « ce ne sont pas vraiment des vacances ».

Éléonore, elle, tient à préciser que sa mission de soutien familial ne l’a jamais empêchée de faire quoi que ce soit. « J’aimerais juste partager, qu’on puisse s’aider moralement. J’apprécierais qu’ils m’appellent exemple, pour me demander comment je vais. » Car même si elle ne s’en plaint pas, le quotidien peut parfois être pesant. « J’y vais tous les jours. Je fais les mêmes tâches. J’enlève les bas de ma mère, je vais chercher l’eau, je répète dix fois la même chose. C’est épuisant. Je n’ai pas une journée où je peux dire tiens, je fais ce que je veux. Parfois, je me sens comme une enfant unique. »

* Le prénom a été modifié

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