Jouissifs, épiques et inventifs... Comment les blockbusters indiens se font une place en France

Le week-end dernier, les murs des Pathé, CGR et Mégarama de France ont tremblé. Les salles étaient remplies de spectateurs heureux de découvrir The Greatest of All Time, tout juste sorti en Inde. Un polar porté par Vijay, une des plus grandes stars du cinéma tamoul. "C'est son avant-dernier film", explique à BFMTV le journaliste Francis Cau. "Il a annoncé sa retraite pour se lancer en politique. Les gens sont remontés à bloc."

Avant The Greatest of All Time, des films comme Leo, Jawan ou Captain Miller ont connu un accueil similaire en France. Destinées à la diaspora indienne, ces histoires épiques aux scènes d'action dantesques passent sous le radar du public français. Même si de plus en plus de spectateurs à la recherche d'une alternative au divertissement hollywoodien se laissent convaincre par ce cinéma jouissifs et originaux.

"Quand je vais voir un film indien, je m'éclate (même si) tout n'est pas réussi", salue François Cau. "Il y a souvent un problème avec les effets spéciaux même si on sent que ça évolue beaucoup sur ce côté ces dernières années. Ca ne gâche pas le plaisir car on voit l'intention."

Besoin de renouvellement

Ignoré voire moqué il y a encore une dizaine d'années, le cinéma indien s'impose depuis le Covid sur la scène internationale. La fresque RRR, qui raconte la lutte de deux révolutionnaires contre les colons britanniques, et a remporté l'Oscar de la meilleure chanson en 2022, a été une première porte d'entrée pour les cinéphiles français. Sa dernière projection, en juillet, au Forum des Images, était complète.

"C'est un cinéma qui était très déconsidéré jusqu'au Covid. Le Covid a amené les gens à regarder des films sur plateforme et à les intéresser à des cinématographies qu'ils ne connaissaient pas. Ca s'est ressenti aussi sur la production", analyse François Cau, qui analyse le cinéma indien depuis plusieurs années dans la revue Mad Movies. "Ça a créé un dynamisme intense et un besoin de renouvellement."

"J’ai envie de croire à cet engouement", poursuit le spécialiste. "Mais les chiffres (français) ne me donnent pas forcément raison. Ce qui est sûr, c'est qu'il y a un engouement chez les cinéphiles." Avec près de 50.000 entrées en octobre 2023 pour Leo, remake non officiel de History of Violence, le cinéma indien reste pour l'heure loin des chiffres du cinéma coréen (276.000 entrées pour Dernier train pour Busan).

"Il y a surtout eu un engouement autour du film Leo", détaille François Cau. "C'est lié au fait que c'est un film tamoul. Le public français, du fait de l'histoire de France avec les anciens comptoirs indiens, et en particulier Pondichéry (où l'on parle tamoul, ndlr), est plus enclins à voir des films tamouls. En France, les distributeurs savent qu'ils vont perdre des sous s'ils font peu de copies tamouls."

John Wick version hindi

Cet engouement est lié au dynamisme du cinéma indien. Alors que Bollywood (les films réalisés en hindi) est en perte de vitesse, Tollywood (en télougou), Kollywood (en tamoul) et Mollywood (en malayalam) ont pris le relais. Ces industries, qui offrent "une autre façon d'aborder la violence et les thématiques sociales" selon François Cau, ont surpris et séduit les nostalgiques du cinéma d'action de Hong Kong des années 1990.

Cette concurrence a poussé Bollywood à se réinventer et à faire appel aux talents de ses concurrents. Sorti l'année dernière en France, Jawan, avec la superstar Shah Rukh Khan, est une relecture testostéronée de Robin de Bois dénonçant la politique du premier ministre conservateur Narendra Modi. Produit à Bollywood, le film est signé par un réalisateur tamoul. Et compte parmi les meilleurs du moment, selon François Cau.

La sortie ce mercredi en France de Kill témoigne aussi de ce dynamisme. Intégralement situé dans un train, Kill suit l'affrontement entre un militaire et les voleurs ayant kidnappé sa fiancée. Très inventif, ce film d'action hindi a impressionné Hollywood et sera bientôt remaké par Chad Stahelski (John Wick). Sa sortie sera l'une des plus importantes pour un film indien en France, avec plus de 120 salles.

"Avec Kill, on est dans une proposition différente de ce que propose traditionnellement le cinéma indien", souligne Tristan du Laz, qui distribue le film avec sa société Original Factory. "C'est un film de divertissement qui peut plaire à un public occidental amateur de films d'action. Le film a une ambition internationale qui est complètement dans les standards du genre et notamment de John Wick."

Kill s'appuie d'ailleurs sur le savoir-faire du chorégraphe coréen Oh Se-yeong, qui a fait ses armes sur Snowpiercer de Bong Joon-ho et Avengers: L'Âge d'Ultron. "Kill est extrêmement efficace dans son traitement et sa tension. Il y a une même tension que dans Dernier train pour Busan", salue encore le distributeur. Et sa sortie classique offre au cinéma indien une vraie chance de toucher un large public français.

Les films disparaissent

Si les films indiens sont diffusés dans des multiplexes français, ils bénéficient toujours de sorties limitées malgré l'acharnement du distributeur indépendant Night ED avant de disparaître complètement des radars. "Une fois que c'est sorti sur grand écran, c'est fini. Ils ne sortent pas en video ou en SVOD", résume Antoine Guérin, qui prépare avec sa société Spectrum Films la sortie en Blu-ray de plusieurs pépites.

Une sortie classique placerait le film dans la chronologie des médias et lui imposerait une sortie video et SVOD. Or l'industrie cinématographique indienne, qui s'adresse déjà à 1,4 milliard d'individus, ne mise pas sur l'exportation. "C'est un système qui tourne à lui tout seul. Leur manne financière est d'abord intérieure", indique Antoine Guérin. "Pourquoi se casser la tête à faire des deals pour un petit marché vidéo en France?"

15 jours en streaming

Alors que très peu de films indiens sont disponibles en blu-ray, il faut se rendre sur Netflix et Prime pour y débusquer certaines nouveautés. "Ils préfèrent vendre leurs films à des plateformes qui vont prendre des droits sur une multitude de territoires. Mais 90 % du temps, tu ne sais pas quand les films arrivent et tu sais encore moins quand ils disparaissent", déplore François Cau. "Des films restent parfois 15 jours."

"C'est très difficile de travailler avec les ayants droit indiens. Il y a un problème culturel auquel je me suis confronté depuis longtemps", ajoute encore Antoine Guérin, qui sort cette semaine un coffret blu-ray consacré à Ram Gopal Varma, maître du polar dont les films ont longtemps été invisibles en France. Il sortira aussi en 2025 en version remasterisée Sholay, "le grand film d'action indien des années 1970". Un sortie rare.

Difficile de savoir si la tendance va se poursuivre. Kill est "l'occasion d'une fois", précise Original Factor: "On n'est pas dans une logique de chercher du cinéma indien. On cherche des œuvres originales." Mais le succès reste à portée de main: après le succès mondial de RRR, son réalisateur S.S. Rajamouli travaille en coproduction avec un grand studio américain. De quoi permettre au cinéma indien d'enfin conquérir le monde.

Article original publié sur BFMTV.com