Avec Jordan Bardella, le Rassemblement national tente un tournant libéral pour grand remplacer la droite

Avec Bardella (ici le 28 septembre 2024 au Danemark), le RN tente un tournant libéral pour grand remplacer la droite
INGRID RIIS / AFP Avec Bardella (ici le 28 septembre 2024 au Danemark), le RN tente un tournant libéral pour grand remplacer la droite

POLITIQUE - Changement de pied droit. Malgré les jeux de dupes qui ont marqué l’examen du budget à l’Assemblée nationale, dont la première partie a été rejetée mardi dans l’hémicycle, les longues heures de débats auront permis quelques clarifications politiques. Parmi elles, la mue du Rassemblement national sur les questions économiques et sociales.

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Après des années à dénoncer la politique fiscale injuste d’Emmanuel Macron, et des prises de position guidées par la doctrine « ni droite, ni gauche » chère à Marine Le Pen, les troupes du Rassemblement national accentuent leur virage libéral, au point d’encourager une politique pro-entreprise proche de la droite traditionnelle.

Certes, l’amorce de ce tournant ne date pas de l’automne. Sous l’impulsion de son président Jordan Bardella, le parti lepéniste a déjà gommé plusieurs mesures sociales phares de son programme lors des dernières législatives (sur les prix planchers pour les produits agricoles ou certaines hausses de salaires). Mais il est désormais particulièrement visible au Palais Bourbon et semble largement assumé. En tout cas, par une partie des troupes.

« Ce parti n’a plus rien d’antisystème »

Dans les colonnes du Monde, ce mercredi 13 novembre, le député Matthias Renault se fait fort par exemple de « défendre la France qui produit et a envie de vivre de son travail, veut de l’ascension sociale, gagner de l’argent et ne demande pas d’aides ». Une tirade sans doute plus proche d’un Laurent Wauquiez que d’une Marine Le Pen, mais qui s’inscrit dans la lignée du langage « pro croissance » de Jordan Bardella, usité dans les colonnes du Figaro mi-octobre, en plein débat budgétaire.

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Conséquence du discours du chef : à l’Assemblée, les troupes lepénistes sont régulièrement venues en soutien du « socle commun » de Michel Barnier sur sa feuille de route budgétaire et les dispositifs mis en place ou encouragés par la macronie. Quitte à sauver les meubles de leurs adversaires — qui n’ont pas brillé par leur présence — et s’afficher en soutien d’une stratégie qu’ils sont pourtant censés honnir.

Concrètement, les députés d’extrême droite ont refusé pêle-mêle le retour de l’ISF (impôt sur la fortune) — dont Marine Le Pen critiquait la suppression il y a encore quelques mois — ou le rehaussement de la flat tax porté par le NFP et le MoDem, pour faire contribuer davantage les revenus du capital, là aussi à rebours d’anciennes déclarations. Le tout, pour défendre plutôt des dispositifs favorables aux gros patrimoines, sur l’héritage entre autres.

« Ce parti n’a plus rien d’antisystème », résume à sa façon l’insoumis Éric Coquerel, pour qui « le Rassemblement national vient toujours au secours des plus riches sur nos mesures les plus fortes. » Pour le président de la Commission des finances à l’Assemblée, aux premières loges des débats budgétaires, « c’est la ligne Bardella qui l’emporte », sur les tenants d’une doctrine plus « sociale populiste », à l’image de Jean-Philippe Tanguy, et une partie des marinistes historiques.

Que reste-t-il de « social » au RN ?

Longtemps, le Rassemblement national a effectivement développé un discours souverainiste (et des mesures xénophobes), mais en le teintant de quelques touches sociales. En somme, il promettait d’exclure les étrangers des dispositifs d’aides pour mieux les réserver aux Français, tout en ferraillant contre les durcissements réguliers des règles de l’allocation chômage ou de la transformation du RSA (revenu de solidarité actif).

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À tel point que Jean-Philippe Tanguy, le « monsieur finances » du parti, s’élevait, en 2023 contre « la notion d’assistanat », pourtant très en vogue à droite. Pour lui « le smicard n’est pas malheureux à cause du RMiste [bénéficiaire du RMI, l’ancêtre du RSA] et personne ne vit durablement avec un RSA. » Le député de la Somme louait même, à cette époque, la position constante et « courageuse » de sa candidate sur ces sujets, cette même Marine Le Pen qui qualifiait par exemple de trop « droitarde » la réforme de l’assurance chômage voulue par Élisabeth Borne à l’époque.

Mais qu’en est-il un an plus tard ? Hormis l’abrogation de la réforme des retraites, difficilement assumée depuis les dernières législatives, et dont les élus lepénistes savent qu’elle n’a aucune chance de passer désormais, les derniers oripeaux de la fibre sociale revendiquée par le parti d’extrême droite se font toujours plus rares. Dans les propositions (où la logique pro-entreprise et entrepreneuriale l’emporte), mais également dans les discours où, symbole parmi d’autres, le terme « assistanat » a désormais sa place.

Mission : remplacer la droite

En réalité, ce changement de ton semble théorisé et planifié au Rassemblement national. Jordan Bardella l’explicite clairement dans son livre « Ce que je cherche », et se fait le chantre de l’union des différentes droites, dans le sillage de son accord avec les ciottistes en juillet dernier pour les législatives anticipées. Une trajectoire qui ne date pas des dernières législatives. En février 2024, l’eurodéputé se disait « parfaitement d’accord » avec le conditionnement du RSA à 15 heures d’activité proposé par le gouvernement. Problème : le groupe présidé par Marine Le Pen avait voté contre à l’Assemblée nationale. Et pas en tergiversant : l’ensemble des 88 élus lepénistes s’était exprimé dans le même sens.

Déjà, à cette époque, le parti d’extrême droite était tiraillé entre son discours social et sa volonté de conquérir un électorat libéral, venant de la droite. Depuis, cet impératif électoral s’est renforcé au RN, où le gotha lepéniste s’échine désormais à multiplier les prises de contacts avec le haut patronat, afin de calmer les peurs longtemps inspirées par le projet économique de Marine Le Pen auprès des milieux d’affaires. Avec un objectif clair : exploser le plafond de verre qui sépare le RN du pouvoir, en adoptant les codes d’une droite plus classique, dont certains revendiquent carrément l’héritage, à l’image du député RN Franck Allisio qui prétend ressusciter le RPR.

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En somme, l’enjeu du parti se trouve désormais dans sa capacité à supplanter la droite traditionnelle (de plus en plus radicale sous l’égide du tandem Wauquiez-Retailleau) et récupérer l’espace laissé vacant par des Républicains moribonds. D’où cette danse du ventre visant à convaincre les patrons et le monde de l’entreprise, qu’il gardait à distance jadis.

« On sent que le Rassemblement national est dans la volonté de notabiliser son discours sur le plan économique, avance en ce sens Éric Coquerel, avec comme but de prendre le leadership à droite. » Une entreprise également identifiée dans le camp présidentiel, non sans crainte. Auprès du HuffPost, un ancien ministre redevenu député, craint à travers ce positionnement « le possible retour du bon vieux clivage gauche/droite qu’on avait fait sauter en 2017 avec un NFP qui tire sur la gauche, et un RN qui parle désormais comme une droite radicalisée. » Pour les macronistes, « c’est un réel risque d’effacement. » Pour d’autres également.

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