JO de Paris : contrôles, expulsions... Pour ces assos du 93, ces jeux se font « sur le dos des plus précaires »

Une voiture « Paris 2024 » passe devant le local du Secours Islamique France, alors que des bénéficiaires font la queue pour de l’aide alimentaire
Photographie fournie par le Secours Islamique France Une voiture « Paris 2024 » passe devant le local du Secours Islamique France, alors que des bénéficiaires font la queue pour de l’aide alimentaire

JEUX OLYMPIQUES - « On construit ces belles olympiades sur le dos des plus précaires. » Guillaume Bellon est coordinateur pour Médecins du monde en Seine-Saint-Denis (93) et son constat est clair : les JO de Paris, qui se voulaient populaires, font de nombreux exclus. Notamment dans ce département du nord de la capitale, le plus pauvre de France métropolitaine, où a été construit le village olympique.

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Houssam el Assimi abonde en son sens. Directeur des missions sociales en Seine-Saint-Denis pour l’ONG Secours Islamique France, il constate depuis plusieurs semaines l’impact des Jeux olympiques sur son travail. Interdiction d’accès à certaines zones, omniprésence policière, prix des transports, public précaire obligé de se cacher… Les deux responsables d’associations ont raconté au HuffPost comment les Jeux olympiques laissaient les plus pauvres du 93 sur le carreau.

Déplacements difficiles et peur des contrôles

« En ce moment, c’est la triple peine », rapporte Houssam El Assimi, dont la mission concerne principalement l’aide alimentaire. « Dans un département qui connaît les problématiques de la grande pauvreté, il y a déjà beaucoup de structures qui ferment durant les vacances d’été. En plus, il y a celles qui ne peuvent pas ouvrir parce qu’elles sont en zone rouge, à proximité des sites olympiques. » Pour pallier le manque, les bénévoles et salariés du Secours Islamique France ont choisi de rester ouverts tout l’été et de continuer leurs distributions de colis alimentaires et maraudes. « À ce stade, les sollicitations ont augmenté d’environ 40 % », estime le responsable.

Mais pour pouvoir aider, encore faut-il pouvoir accéder aux bénéficiaires – du moins ceux qui sont encore là, après le « nettoyage social » qui a précédé les Jeux olympiques, rappelle Houssam El-Assimi. Pour beaucoup, se déplacer jusqu’aux points de distribution de nourriture est devenu un parcours du combattant. « Le prix des transports est très élevé, il y a des restrictions qui empêchent de circuler, et la présence policière est énorme. Pour les étrangers, qu’ils aient des papiers ou non, il y a la peur de se faire contrôler. »

Des personnes sans domicile forcées de se cacher

Houssam El-Assimi constate ces difficultés en parlant avec ceux qui arrivent à venir. « J’ai échangé avec une mère isolée qui a dû marcher deux heures et demie avec son bébé pour venir chercher de la nourriture. » Pas le choix, entre l’augmentation des tickets de métro (passés de 2,15 à 4 euros) et la peur de se faire contrôler en voyageant sans titre de transport. « Elle n’est sortie de chez elle que pour nourrir ses enfants. Sinon, comme de nombreux autres bénéficiaires, elle me dit “On ne se déplace pas, on ne sort pas”. »

Pour les personnes sans domicile, la situation est encore plus compliquée. Même si les bénévoles du Secours Islamique France ont obtenu des pass pour pouvoir circuler librement, leurs maraudes ne sont plus les mêmes. « Après des “mises à l’abri” lors desquelles les personnes en errance ont été chassées de Paris et de l’Île-de-France, ceux qui restent se cachent en attendant que les Jeux passent, explique-t-il. Mais ils ont encore besoin de manger, donc on continue les maraudes sans savoir où les trouver. » Par hasard, les maraudeurs ont découvert que certains groupes se cachaient dans des parkings entre 22 heures et 5 heures du matin, et ont pu leur apporter une assistance. « Ils nous ont dit “On bouge tout le temps à cause des JO, on n’a nulle part où aller”. »

L’accès aux soins reporté au mois de septembre

En mentionnant les structures qui ont dû fermer à cause des Jeux olympiques, Houssam El Assimi cite un local de Médecins du monde : le Centre d’accueil, soins et orientation (CASO). Situé à la plaine Saint-Denis, à moins d’un kilomètre du Stade de France. Depuis son ouverture en 2004, il a toujours été accessible durant les mois d’été – jusqu’aux JO, qui ont obligé Médecins du monde à le délocaliser.

En cause, la très forte présence policière et ses conséquences pour un public étranger, en situation parfois irrégulière, et vulnérable. « Ça a été une décision très difficile, parce que notre public sait qu’il peut nous trouver à cette adresse, déplore Mathieu Dréan, coordinateur de la mission Banlieue 93 de l’ONG médicale. Mais on sait qu’un nombre significatif de personnes enfermées dans les CRA le sont à l’issue d’un contrôle policier, et nous avons fait le choix de ne pas y exposer notre public », explique-t-il, avant de nous renvoyer vers son collègue coordinateur du CASO, Guillaume Bellon.

Celui-ci déplore une baisse de la demande depuis la délocalisation du CASO et un recul de l’accès au soin. « Quand les personnes parviennent jusqu’à nous, elles ont plus de réticences à se déplacer jusqu’aux endroits que nous leur recommandons pour les radios, les prises de sang, les consultations… Pour des situations très douloureuses, d’habitude, les gens n’hésitent pas mais depuis la mise en place des JO, ils nous disent préférer ne pas prendre de risque avec un déplacement supplémentaire. » Un phénomène « très inquiétant » pour Médecins du monde. « On redoute les retards de soin et l’idée qu’à la mi-septembre, nous devrons traiter des pathologies qui auraient pu être prises en charge plus tôt », alarme Guillaume Bellon, qui regrette que les personnes les plus pauvres soient « les premières à pâtir de ces Jeux olympiques ».

Tout comme Houssam El Assimi, il appelle à prendre conscience que les Jeux olympiques ont aggravé les difficultés déjà vécues par celles et ceux qui vivent la grande précarité. « Il faut dissocier l’engouement sportif, les performances et les médailles dont tout le monde peut se réjouir, et la vie quotidienne, notamment des plus démunis, qu’il ne faut ni passer sous silence, ni oublier », rappelle le responsable de mission du Secours Islamique France

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