"J'ignorais que ce serait si dur": Chappell Roan, la nouvelle superstar écrasée par sa célébrité
Après 10 ans dans l'ombre, la jeune femme est devenue une figure de la pop américaine en l'espace d'un été. Et elle ne cache rien de la détresse émotionnelle que cette notoriété soudaine a engendrée.
La nouvelle égérie de la scène pop américaine arrive-t-elle déjà à bout de souffle? Chappell Roan, chanteuse de 26 ans nommée ce vendredi 1er novembre au NRJ Music Awards dans la catégorie révélation internationale, s'habitue difficilement à sa récente notoriété. Devenue une star incontournable aux États-Unis en l’espace de quelques mois, la jeune femme montre des signes de fatigue::
"Je crois que c'est parce que ma carrière avance très vite, et j'ai beaucoup de mal à suivre", a-t-elle poursuivi. Son ascension a, en effet, été fulgurante. Son premier album The Rise and Fall of a Midwest Princess, sorti dans une indifférence quasi-totale en septembre 2023, s'est finalement classé numéro 2 des ventes américaines en juin.
Entre-temps, Chappell Roan a sorti l'irrésistible Good Luck, Babe!, l'un des tubes de l'été passé, qui l'a propulsée sur le devant de la scène. Dans la foulée de ce carton, pas moins de sept titres de son disque se sont hissés dans le Top 100 américain en l'espace de trois mois, elle a atteint 44 millions d'auditeurs mensuels sur la plateforme Spotify, et a battu des records de fréquentation dans de prestigieux festivals.
Alors qu'elle évolue depuis près d'une dizaine d'années dans le milieu de la musique, le jeune public américain a subitement adopté cette rousse incendiaire, ses textes résolument queers, sa pop électrisante et son esthétique excentrique rappelant les débuts de Lady Gaga. Lui faisant goûter, tout aussi brutalement, aux mauvais côtés de la notoriété.
"Très conservatrice et chrétienne"
Au départ, pourtant, rien n'indiquait que Chappell Roan soulèverait un jour des foules en chantant ses amours saphiques dans des costumes extravagants. Née Kayleigh Rose Amstutz le 19 février 1998, elle grandit dans une petite ville du Missouri au sein d'une communauté religieuse. Elle y reçoit une éducation qu'elle qualifie de "très conservatrice et chrétienne" dans les colonnes d'Associated Press, et se rend à l'église trois fois par semaine.
"J'étais très curieuse de la musique pop, et je n'arrivais pas à identifier pourquoi je m'en sentais proche", confie-t-elle à NME. "(Ces chansons) parlaient d'un style de vie qui m'était inconnu. J'étais très couvée, très prude."
Tout change lorsqu'elle découvre Los Angeles, vers 2016: "On m'avait dit que cette ville était démoniaque et qu'elle abritait les satanistes. Mais quand je suis arrivée à West Hollywood (quartier LGBT, NDLR) ça m'a ouvert les yeux. Mes premières soirées en boîte gay ont eu quelque chose de spirituel."
Premiers échecs
À cette époque, Chappell Roan a déjà sorti de premiers morceaux en indépendante, sous son nom de naissance. Si elle se trouve dans la cité des anges, c'est parce que ce coup d'essai lui a permis d'obtenir son premier contrat, à 17 ans, avec Atlantic Records. La première grande rencontre de sa carrière intervient quelques années plus tard lorsqu'elle croise la route de Daniel Nigro, auteur-compositeur, qui a notamment travaillé depuis avec Olivia Rodrigo.
Mais Atlantic Records est déçu du manque d'intérêt du public et rompt, en 2020, le contrat qui l'unit à la jeune chanteuse:
"J'avais l'impression d'être une ratée", se souvient-elle encore auprès du Guardian. "Mais au fond de moi, je savais que ce n'était pas le cas."
Alors Chappell Roan rentre dans le Missouri, travaille sa musique en indépendante et économise l'argent qu'elle gagne comme vendeuse dans un drive-in afin de repartir à Los Angeles. Cette fois, elle se donne un an pour percer: "Si rien ne se passe d'ici la fin de l'année, c'est un signe que je dois rentrer à la maison", se dit-elle alors.
La chanteuse retrouve Daniel Nigro et multiplie les singles. Son goût pour les synthétiseurs des années 1980 - et pour la gent féminine - s'affirme (Naked in Manhattan), de même que son appétence pour les textes crus ("Nous sommes à fond sur la banquette arrière et tu me fais un cunnilingus" - Casual).
"C'est une manière de m'exprimer qui m'était interdite en grandissant dans une ville et un foyer chrétiens et conservateurs", explique-t-elle à Vulture.
Après une année 2021 passée à promouvoir sa musique sur TikTok, elle intègre une nouvelle major en 2022, Island Records. S'enchaînent ensuite les opportunités qui lui permettent d'enfin toucher le grand public.
2024, année de la gloire
La même année, elle assure les premières parties d’Olivia Rodrigo, qui déchaîne alors toutes les passions. Lorsqu’elle lance sa première tournée en son nom, en février 2023, celle-ci se joue à guichet fermé. Arrive septembre et la sortie timide de The Rise and Fall of a Midwest Princess. Il faudra encore quelques mois à Chappell Roan, alors nouveau visage d’une pop alternative, pour se muer en superstar.
La chanteuse fait parler d’elle en mars avec une prestation remarquée au Tiny Desk de NPR, scène ultra-courue de la pop mondiale. Elle y fait honneur à l'esthétique des drag-queens, dont elle se réclame en interviews: la chanteuse y allie son maquillage signature (fond de teint blanc et regard coloré) à des dents tartinées de rouge à lèvre, ainsi qu'une perruque clownesque dans laquelle se perdent des mégots de cigarettes.
Dans la foulée sort l'ultra-efficace Good Luck, Babe!, ballade dansante sur sa relation avec une fille qui ne s'avoue pas son homosexualité. Les synthétiseurs rappellent les années 1980, son coffre aigu évoque celui de Kate Bush, la Gen-Z est conquise par cette valse des genres.
Forte de ce titre, elle déchaîne les foules tout l’été dans les festivals les plus prestigieux des États-Unis. Après Coachella en Californie, elle fonce dans le Tennessee pour le festival Bonnaroo, qui lui offre une scène plus grande que prévue pour pouvoir répondre à la demande des fans. Quelques semaines plus tard, elle marque l’histoire du Lollapalooza en attirant 110.000 spectateurs, du jamais-vu pour le festival.
Premiers signaux de détresse
Nouvelle consécration en septembre lorsqu'elle se produit pour la première fois sur la scène des MTV VMAs. Un passage obligé pour toutes les stars américaines depuis des décennies, qui a accueilli les débuts de Madonna, Britney Spears ou Taylor Swift. Chappell Roan y livre une prestation pyrotechnique spectaculaire, grimée cette fois en Jeanne d'Arc.
Au fil de cette ascension exponentielle, pourtant, Chappell Roan envoie régulièrement des signaux de détresse de plus en plus évidents. Celle qui a toujours été transparente sur sa santé mentale fragile - elle a révélé souffrir d'un trouble bipolaire en 2022 - s'alarme du comportement invasif de ses fans. "Des gens commencent à se comporter comme des malades, ils me suivent, ils savent où vivent mes parents, où ma soeur travaille", confie-t-elle en juillet au podcast Comment Section:
"Il y a quelques années, j'avais dit que si j'étais suivie ou harcelée, ou bien si ma famille se trouvait en danger, j'arrêterais. Et nous y sommes."
En août, la jeune artiste commet un faux-pas majeur en s'en prenant directement à ses fans, auxquels elle ne cache pas sa colère : "Je me fous qu'il soit considéré normal d'abuser ou de harceler les personnes célèbres", déclare-t-elle dans une vidéo sur TikTok. "Et si vous pensez que c'est égoïste de ma part de ne pas accepter de prendre une photo avec vous, j'en ai rien à foutre."
Des propos très rarement tenus par des superstars américaines, plutôt formatées pour prendre soin de leur public... sans doute à raison: cette vidéo a généré de nombreux commentaires négatifs sur la Toile, d'aucun voyant désormais en Chappell Roan une arriviste ingrate.
À partir de là, la machine s'emballe: à l'heure des réseaux sociaux, les moindres faits et gestes de la chanteuse se trouvent (négativement) commentés par n’importe quel quidam. Comme le week-end dernier, sur un tapis rouge, lorsqu'elle reconnaît un photographe qui lui aurait crié dessus lors d'un précédent événement et s'approche de lui pour exiger des excuses.
À chaque fois, les mêmes réactions: quand certains louent sa franchise, beaucoup d’autres s'agacent d'une attitude qu'ils jugent présomptueuse:
Le coup de grâce intervient lorsqu’elle refuse d’accorder un soutien public à Kamala Harris face à Donald Trump dans le cadre de la présidentielle américaine à venir.
"Il y a des problèmes des deux côtés", avait-elle confié au Guardian en septembre. "J'encourage les gens à faire usage de leur esprit critique."
Une absence de parti pris osée, dans un show-business américain où chacun affiche clairement ses soutiens politiques. Accusée par les internautes de faire le jeu des Républicains en refusant de se ranger derrière la candidate démocrate, la jeune femme publie une vidéo pour préciser que non, elle "ne votera pas pour Trump". Mais la pression du public ne redescend pas, si bien qu'il lui faut prendre à nouveau la parole le lendemain avec une nouvelle vidéo, visiblement exaspérée:
Elle y ajoutait mépriser Donald Trump, mais avoir aussi été déçue par la position du Parti démocrate sur les personnes LGBT, la cause palestinienne et "toutes les communautés marginalisées dans le monde", d'où sa frilosité à apporter un soutien public à Kamala Harris.
"J'ai été submergée"
Autant de controverses qui ont de toute évidence eu leur impact sur le moral de cette toute nouvelle star: fin septembre, elle annonce souffrir d'une dépression sévère, qu'elle attribue au changement radical de son quotidien. Dans la foulée, elle annule deux dates pour "donner la priorité à (sa) santé":
"J'ai été submergée ces dernières semaines, et j'accuse le coup", confie-t-elle alors sur Instagram.
"La célébrité, c'est de l'abus", résume-t-elle encore à The Face. "Le harcèlement, les insultes sur les réseaux sociaux, les gens qui ne vous laissent pas tranquille, qui vous hurlent dessus en public. C'est comme un ex-mari abusif. J'ignorais que ce serait si dur."
Déjà, les vautours numériques lui prédisent une courte carrière, la jugeant trop peu armée pour assumer le revers du succès auquel elle goûte à peine. C'est peut-être justement ce paradoxe qui rend l’acclimatation si difficile: devenue follement célèbre en un été après une décennie d'anonymat à tenter de le devenir, Chappell Roan envoie finalement tous les signaux de celle qui rêve que le manège s’arrête.