« Le jeune homme » d’Annie Ernaux raconte bien plus que le simple écart d’âge avec un ex-amant

Annie Ernaux (ici en avril à Madrid) a reçu le prix Nobel de littérature 2022.
Isabel Infantes via Getty Images Annie Ernaux (ici en avril à Madrid) a reçu le prix Nobel de littérature 2022.

LITTÉRATURE - C’est le dernier roman publié par celle qui est depuis ce jeudi 6 octobre lauréate du prix Nobel de littérature 2022. Six ans après Mémoire de filleAnnie Ernaux avait fait son retour en librairies en mai avec Le jeune homme, aux éditions Gallimard.

L’histoire, longue de quelque 37 pages, est celle de la relation amoureuse qu’elle a vécue, il y a de cela plusieurs décennies, avec un homme de presque trente ans de moins qu’elle. Ce n’est pas la première fois qu’on entend parler dudit jeune homme. Ce dernier est déjà apparu brièvement, là aussi anonymisé, dans Les Années, autobiographie de l’autrice parue en 2008.

Aujourd’hui, on en apprend un peu plus sur lui. On ne connaît toujours pas son prénom. On sait simplement qu’il était étudiant quand ils se sont rencontrés. On sait aussi qu’il aimait les Doors et habitait Rouen, ville de Normandie où Annie Ernaux a fait ses études dans les années 1960.

L’inversion de statut

Les écrits d’Annie Ernaux, dont le best-seller L’événement a récemment été adapté au cinéma par Audrey Diwan, sont un genre littéraire à part. Qu’il s’agisse de L’Occupation, de Passion simple, de La Place ou de Regarde les lumières mon amour, ils ont cette force de parler, au gré de récits personnels racontés à la première personne, de mécanismes plus universels à l’œuvre dans la société, notamment en matière de sexisme ou de classisme.

Tout laissait à croire, peut-être de manière un peu trop attendue, que Le jeune homme serait une manière pour la romancière d’aborder les injonctions et le regard de la société qui pèsent sur un couple hétérosexuel, quand la femme est plus âgée que l’homme. Il y est évidemment question, lorsqu’elle écrit que « devant le couple que nous formions visiblement, les regards se faisaient impudents, frôlaient la sidération, comme devant un assemblage contre nature ». Cependant, ce n’est pas le sujet principal.

Même si c’est lié, le sujet de fond, c’est ce que cela a réveillé et questionné en elle, et notamment son statut social. « Notre relation pouvait s’envisager sous l’angle du profit », souffle Annie Ernaux dans son roman. Annie Ernaux, dont les deux parents tenaient un café-épicerie dans une petite ville, a beaucoup documenté son sentiment d’appartenance à une classe sociale populaire. Les manières de cet étudiant lui ont rappelé ses origines. Surtout, elle s’est, face à lui, sentie de l’autre côté, du côté de la bourgeoisie.

Un miroir de la jeunesse

« Oui, car il y a cette différence d’âge et de statut social, cette ‘pauvreté’ du jeune homme qui est attirante, explique-t-elle dans une interview à Ouest-France. Je veux être celle qui peut donner plein de choses. Chacun sait que donner, c’est prendre. Le côté économique compte beaucoup et je voulais même l’accentuer en listant tout ce que j’ai fait pour, non pas l’attacher, mais rétablir un ordre. »

La jeunesse de cet homme ne la renvoie pas à son âge. Non, il la transporte dans ses propres expériences de jeunesse, comme un miroir. « Il était la mémoire de mon premier monde », précise l’écrivaine dans son livre. Ou encore qu’avec lui, « je parcourais tous les âges de la vie, de ma vie ». Sa mémoire lui paraissait « infinie ». À travers cette histoire d’amour, c’est son propre rapport au temps qu’Annie Ernaux dissèque.

Il était important, pour elle, d’écrire sur ces souvenirs, de mettre les mots à plat, sans quoi elle aurait eu l’impression de ne jamais les avoir vécus. Ce livre ne trace pas seulement une boucle sur son histoire passée avec un homme. Il détoure son histoire passée à elle, la sienne.

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