"J'avais l’impression que rien ne les touchait": l'impossible prise de conscience du professeur de français accusé de viols en Asie

"Vous le reconnaissez ce garçon?", demande à 25 reprises Laurent Raviot, le président de la cour criminelle départementale de Paris. Sur les écrans de la salle d'audience, apparaît une succession de visages juvéniles, des photos d'enfants, sourire aux lèvres, l'air ingénu et aux corps maigrelets. Les visages de 25 enfants malaisiens identifiés par les enquêteurs comme des victimes de Jean-Christophe Quenot, ce Français de 55 ans jugé depuis vendredi.

Ce lundi après-midi était consacré à son interrogatoire sur ce que la justice lui reproche, six viols et 19 agressions sexuelles. Debout dans le box, bras croisés dans le dos, ou une main dans la poche, l'autre pour se maintenir à la barre devant lui, Jean-Christophe Quenot n'a que peu de souvenirs des enfants, des prostitués mineurs âgés pour le plus jeune de 10 ans, 17 ans pour le plus âgé. Des enfants qu'il a pourtant filmés et dont il a tout noté dans ses carnets, exploités par les enquêteurs.

"Lui je ne l'ai vu qu'une seule fois (...) non je ne me souviens pas (...) Je n’en ai pas le souvenir, mais puisque c’est indiqué dans mes notes… Et puis il doit y avoir la vidéo", répond Jean-Christophe Quenot, pressé par le président de la cour criminelle départementale, qui d'un ton égal, sans intonation, énumère l'intégralité des faits reprochés. "Je me souviens de son sac à dos mais pas de son visage", finit-il par concéder au sujet d'un jeune garçon de 14 ans. L'accusé ne quitte pas des yeux les photos de ses victimes.

Une attirance pour les mineurs venue "progressivement"

En Malaisie, ce Français installé en Asie depuis 1990 reconnaît avoir eu une "bonne centaine" de relations sexuelles avec des jeunes garçons qu'il rémunérait pour quelques euros. Une attirance pour les physiques juvéniles "venus très progressivement" dont le point de départ date, selon lui, de 1997. "À un moment, je suis allé de plus en plus vers des prostitués masculins. Ils étaient de plus en plus jeunes, ils avaient l'âge du garçon dont j'étais tombé amoureux à 20 ans."

Sa première relation tarifée avec un mineur date de 1994, selon lui. À cette époque-là, Jean-Christophe Quenot a 30 ans, les mineurs qu'ils rencontrent dans des parcs moitié, voire trois fois moins. Jusqu'en 2019 et son arrestation, il donne, en parallèle d'une vie sexuelle qu'il qualifie aujourd'hui "d'illégale", des cours de français à des élèves dans un centre linguistique à Singapour. Comment expliquer qu'il n'ait commis aucun abus sur ses élèves?

"Si j’avais tenté de séduire un de mes élèves, ça aurait été dévastateur pour lui", lâche-t-il comme une évidence.

Alors "pourquoi avoir des relations sexuelles avec des mineurs issus de milieux défavorisés, qui se prostituent pour quelques euros?", s'interroge la cour ne pouvant "faire l'économie" d'une lecture exhaustive et "pénible" des pratiques sexuelles imposées aux enfants pendant 30 années. "J'ai fait une erreur", débute Jean-Christophe Quenot qui participe depuis septembre à une thérapie de groupe en prison.

"Je les ai crus indestructibles"

Réelle prise de conscience ou minimisation des faits qui lui sont reprochés? "Je les ai crus indestructibles, lance alors Jean-Christophe Quenot comme justification. Les mineurs que je rencontrais connaissaient la rue, il venaient d’un milieu où on se bagarrait facilement, on faisait de la vitesse à vélo, à scooter. Ils arrivaient parfois dans la chambre après être tombé, avec des plaies incroyables. J'avais l’impression que rien ne les touchait."

D'ailleurs, s'il reconnait aujourd'hui que le consentement est "subtil, Jean-Christophe Quenot estime avoir laissé le choix à ces enfants. "Je leur donnais rendez-vous à l'hôtel 10-15 minutes plus tard, c'était important car ça leur permettait de changer d'avis", se rassure-t-il. Avant de balayer toute contrainte de sa part: "Il n'y a pas de contrainte physique et pourtant elle est bien là. Dans mon cas particulier, la forme de la contrainte dans toute son insidiosité, c’était la pression des pairs."

Face à ces gamins "toujours souriants", l'accusé se félicite de leur avoir donné quelques euros supplémentaires pour manger, pour aller acheter des pansements lors qu'ils étaient blessés ou pour leur anniversaire. "Devant moi, ils étaient d’une contenance incroyable", ajoute-t-il.

- "Vous leur avez posé des questions sur eux?", tente encore de comprendre le président. - "Hélas, hélas, mon malais est très mauvais... Et une fois dans la chambre, je n’avais pas de temps à perdre...", répond-il du tac au tac avec un sourire.

D'ailleurs Jean-Christophe Quenot ne se considère pas comme un criminel dangereux. "Par violence physique, je parlais de violences sexuelles accompagnées de violences physiques, qui seraient autre que les violences sexuelles, consent-il.

"Je pense que dans leur cas il fallait mieux être prudent. Dans les premiers temps où ils venaient dans ma chambre d’hôtel, dans mon cas ils ne courraient pas de risque, mais aller dans la chambre d’un homme trois fois plus vieux qu'eux, ça peut être dangereux. II existe un degré de violence, il reste à déterminer dans quel spectre de la violence je me situais." "Et vous vous situez où?", le presse Me Céline Astolfe, l'avocate de la Fondation pour l'enfance.

"Je ne suis pas en haut de cette échelle", plaide celui qui a été qualifié de criminel "le plus prolixe" jamais vu par les enquêteurs.

Article original publié sur BFMTV.com