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Journée mondiale du droit à l’avortement : "J'ai avorté à trois reprises et j'essaie de faire la paix avec mon utérus"

Bien qu'elles représentent un tiers de la totalité des femmes en France, les femmes qui ont recours à l'IVG sont souvent confrontées au silence et/ou méprisées. Et lorsque celles-ci connaissent plusieurs avortements au cours de leur vie, ce mauvais traitement est démultiplié, certains estimant qu'elles n'ont pas “retenu la leçon”. Et si on écoutait ces femmes plutôt que les juger ?

Crédit Getty
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Solène, a avorté trois fois, à 27, 29 et 32 ans. Une fois par voie chirurgicale et les deux autres fois par voie médicamenteuse. Des IVG, pas anodines pour elle et toutes très difficiles à vivre : “Je m'en voulais beaucoup de faire cela, pour ce qui était en moi (vie ou cellule, peu importe le nom), et pour moi, mon état psychologique et physique”. Mais pour elle, chacune de ces grossesses n'est pas intervenue au bon moment, ni dans les bonnes conditions matérielles et émotionnelles.

J’osais de moins en moins parler autour de moi et les remarques que j’ai eues le plus ont été "tu es vraiment fertile" et "il faut t’apprendre la contraception", ce qui m’a profondément blessée et fait sentir comme une petite fille qui avait fait une bêtise.

Lors de la première, Solène était en reprise d'études, après avoir quitté un compagnon et un travail à l'étranger : “J’ai réfléchi à ce que je désirais dans ma vie et ayant perdu mon père très jeune, j’avais envie d’avoir une famille plus que d’être mère seule”. Et pour les deux autres, elle ne souhaitait pas se retrouver “à [s]’occuper d’un enfant avec un homme très loin” ou non désireux de construire avec elle.

Quand les femmes portent seules la responsabilité de l'avortement

Lorsqu'elle en parlait alors autour d'elle, Solène recevait des réflexions blessantes qui la faisaient se sentir “comme une petite fille qui a fait des bêtises”. On lui reprochait d'être trop fertile, ou de ne pas maitriser la contraception.

Des propos qui la font toujours bondir, tant ils font selon elle “peser une pression énorme sur les femmes”. “Pour qu’il y ait une grossesse, il faut un homme qui ‘ensemence’ !”. La charge contraceptive et les inconvénients potentiels des contraceptifs féminins, la jeune femme les avaient vécus, avant de se résoudre à arrêter et de tomber enceinte : “J’ai fait de très mauvaises réactions aux contraceptifs hormonaux comme la pilule ou l'anneau, et je n’ai jamais pu poser de stérilet car j’ai vécu une période d’infections urinaires à répétitions. [...] Après ma première IVG, je me suis fait poser un implant, que j’ai du enlever au bout de six mois car je pleurais tous les jours. J’ai aussi essayé des méthodes naturelles, mais je ne connaissais pas assez mon corps et ses mécanismes pour que cela soit efficace”.

Je me suis endormie les jambes écartées les pieds sur des étriers et me suis réveillée allongée dans un lit avec une couche. Nous étions plusieurs dans une grande chambre, nous sommes passées les unes après les autres, et après l’intervention certaines pleuraient

Ses partenaires, eux, n'ont pas semblé préoccupés par les risques de grossesses. Ils ne prenaient pas toujours le soin de mettre un préservatif ni de s'informer sur son cycle. Solène, elle, admet n'avoir pas toujours su dire non “croyant que cela ferait [d'elle] une femme plus désirable ou aimable”. De son premier avortement, la trentenaire garde un très mauvais souvenir : en l'absence de planning familial à côté de chez elle, elle a été contrainte de se rendre dans une maternité où elle était “entourée de documentation autour de la naissance”. Et le jour J, le cauchemar a continué : “Je me suis endormie les jambes écartées les pieds sur des étriers et me suis réveillée allongée dans un lit avec une couche. Nous étions plusieurs dans une grande chambre, nous sommes passées les unes après les autres, et après l’intervention certaines pleuraient”.

Depuis la légalisation de l'avortement, le nombre d'IVG itérées augmente

Pas de quoi donner envie de revivre l'expérience. Pourtant, Solène l'a réitérée ensuite à deux reprises, l'une “quasiment sans douleur” et l'autre “très difficile à supporter”. Et elle n'est pas la seule à avoir eu recours à des IVG itérées. Selon une étude de l'Ined, la proportion de femmes ayant recours plusieurs fois à l'avortement augmente depuis 1975. En 2015, elles étaient 9,5 % à y avoir recours deux fois, et 4,1 % trois fois ou plus. Pour Magali Mazui, co-autrice de l'étude, cette augmentation s'explique en partie par la diversification des parcours affectifs et sexuels des femmes. “L'âge à l'entrée sexuelle a diminué, les périodes de vie hors couple ont augmenté, de même que les nombres d'unions. [...] Ce qui a sans doute un impact sur les parcours contraceptifs et sur les grossesses non prévues”.

Jamais on ne m’a demandé comment je me sentais ou si j’avais besoin de parler. On m’a bien fait comprendre que ce n’était pas normal de se retrouver dans cette situation...

L'évolution de la perception de l'avortement a aussi son incidence, d'après Laurent Toulemon, autre auteur de l'étude : “Juste après la loi de 1975, l'IVG était mal considérée, assez traumatisante, les femmes évitaient autant que possible d'y recourir une nouvelle fois […] de dernier recours en cas de détresse, elle est devenue un droit”. De plus, ajoute-t-il, les IVG étaient toujours accompagnées d'un rendez-vous d'information sur la contraception, qui n'existe plus aujourd'hui. Mais si selon le chercheur, les IVG sont moins stigmatisées, “les IVG itérées sont encore mal considérées” dénotant un “droit encore incomplet”.

“Jamais on ne m’a demandé comment je me sentais ou si j’avais besoin de parler. On m’a bien fait comprendre que ce n’était pas normal de se retrouver dans cette situation...”, se souvient Solène. Avec un peu de recul, la trentenaire estime qu'elle manquait de connaissances sur son corps et sur le cycle féminin, malgré ses longues études. “Il aura fallu ce parcours et ces épreuves pour que je m’intéresse vraiment à mon corps, à son fonctionnement, au féminin, au cycle menstruel et que je comprenne qu’il ne faut pas compter sur l’école, les médecins ou la société pour prendre soin de moi, de mon corps et donc de mon utérus”. Quelques années après, la jeune femme se dit “apaisée par rapport à ces avortements dont elle n'a plus honte. Depuis peu, elle a même créé un compte Instagram baptisé Un tiers des femmes pour recueillir les témoignages d'autres femmes dans son cas et briser les tabous à ce sujet.

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