« Jacaranda », le nouveau roman de Gaël Faye, retrace l’histoire du Rwanda pour ceux qui ne le peuvent pas
LIVRES - Écrire pour les morts et ne pas oublier. Écrire aussi pour les vivants que l’horreur indicible a retranchés dans le silence. Gaël Faye publie Jacaranda, son second roman, aux éditions Grasset ce mercredi 14 août. L’écrivain franco rwandais, également rappeur, ouvre la rentrée littéraire et signe son retour en librairies, huit ans après le succès de Petit Pays.
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Dans son premier roman, qui lui a valu le prix Goncourt des lycéens en 2016, Gaël Faye embarquait les lecteurs au Burundi en 1993. Il y racontait la guerre civile dans son pays natal puis le génocide des Tutsis au Rwanda à travers les yeux d’un jeune garçon, forcé à l’exil. Tout comme Gabriel dans Petit Pays, et comme l’auteur lui-même, le narrateur de Jacaranda, Milan, est né d’une mère rwandaise et d’un père français.
Mais la ressemblance s’arrête là. Car les massacres qui ont stoppé nette l’enfance de Gabriel, Milan ne les vit qu’à travers un écran de télé. Gaël Faye prend cette fois comme narrateur un binational qui n’a connu que la France et ignore la moitié de ses origines.
« Il est ignorant de son histoire. Et lorsque les conflits surviennent, on confond souvent l’ignorance et l’indifférence », affirme Gaël Faye dans une vidéo pour Grasset. Mais Milan veut comprendre, malgré sa vie confortable à Versailles et le silence de plomb de sa mère sur son passé.
Jacaranda, ou le Rwanda à travers les époques
Jacaranda suit sa quête longue de 26 ans, à la recherche de ses racines et à la découverte d’un pays plus vaste que les trois mois les plus sombres de son passé. Alors que le narrateur grandit, il retrace l’histoire du Rwanda à travers cinq générations de personnages.
Il y a la jeune Stella, rwandaise née après le génocide, qu’il a connue bébé et que l’on voit atteindre l’adolescence. Claude, qui a l’âge de Milan mais une vie diamétralement opposée car il a perdu toute sa famille en 1964 et doit construire sa vie de jeune adulte dans un pays en lambeaux. La tante Eusébie, personnage déjà présent dans Petit Pays, qui a choisi de rester au Rwanda après le meurtre de ses quatre enfants. Et la grand-mère d’Eusébie, Rosalie, rare témoin des derniers souverains et de la cour de Nyanza, qui a connu le pays avant l’invention des cartes d’identité « ethniques » par les colons Belges.
Ce récit multigénérationnel permet de rappeler que le génocide des Tutsis n’est pas une parenthèse figée entre le 7 avril et 17 juillet 1994. Pour Gaël Faye, « c’était une manière aussi de remonter à la source de la racialisation du peuple rwandais, avec la conséquence la plus dramatique qui soit ». Jacaranda, dont les derniers pages se déroulent en 2020, se tourne également vers l’après. L’écrivain interroge le rapport de la jeunesse rwandaise aux commémorations annuelles qui durent un mois, montre la modernisation éclair de Kigali et rappelle le rôle de justice transitionnelle des gacaca, ces tribunaux de village qui ont jugé les bourreaux des Tutsis.
Le poids du silence
Au fil des décennies, Milan prend racine dans ce pays qui est aussi le sien, à l’image des jacarandas, ces arbres au feuillage mauve qui donnent leur nom au roman. Mais si Gaël Faye raconte avec délicatesse un pays qui se reconstruit grâce aux liens humains, Jacaranda « est aussi l’histoire du silence dans les familles, à l’ombre duquel on grandit ».
La mère du narrateur préfère se murer dans le mutisme plutôt que de revivre ses traumatismes en les évoquant. C’est le poids de son silence qui pousse Milan à aller vivre au Rwanda. Un élément d’ailleurs autobiographique du livre : « Aller vivre au Rwanda, c’était renouer avec l’histoire familiale de ma mère, dont une part m’était cachée. [...] Je me suis senti confronté au silence », a déclaré Gaël Faye dans une interview à Livres Hebdo en juillet dernier.
« Jacaranda, c’est une tentative de rendre cohérentes mes trente dernières années avec le Rwanda », explique-t-il, admettant qu’il ne sait même pas si sa mère a lu Petit pays : « Elle ne m’en a jamais parlé ». Conscient de l’importance de la parole, Gaël Faye écrit pour lui et pour ceux qui ne le peuvent pas, ou plus. Il décrit les réalités du stress post-traumatique des survivants et leurs descendants : le syndrome d’évitement qui enferme dans le silence mais aussi les épisodes dépressifs et les syndromes de reviviscence.
« Ce n’est pas un roman sur le génocide. C’est un roman sur les répercussions de la violence extrême, à une échelle humaine », note-t-il à Grasset. L’auteur insiste : il ne s’agit pas d’une « histoire rwandaise » mais d’une « histoire universelle ». Jacaranda résonne d’autant plus fort à la lumière d’autres drames récents, de Gaza au Haut-Karabakh. Les répercussions de cette violence extrême sont, elles, encore à venir. La plume de Gaël Faye porte l’espoir d’arriver, un jour, à se reconstruire.
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