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Israël se rapproche de la Russie avec l'effacement de Washington

Moscou est devenu depuis un an une destination bien plus fréquente et plus accueillante que Washington pour Benjamin Netanyahu, attentif à l'évolution des jeux d'influence entre la Russie et les Etats-Unis au Proche-Orient. /Photo prise le 7 juin 2016/REUTERS/Maxim Shipenkov

par Dan Williams et Denis Dyomkin JERUSALEM/MOSCOU (Reuters) - Moscou est devenu depuis un an une destination bien plus fréquente et plus accueillante que Washington pour Benjamin Netanyahu, attentif à l'évolution des jeux d'influence entre la Russie et les Etats-Unis au Proche-Orient. Personne ne s'attend à ce que le Premier ministre israélien, reçu mardi pour la troisième fois en un an par le président russe Vladimir Poutine, rompe l'alliance avec les Etats-Unis, fondamentale pour l'Etat hébreu depuis sa création. Benjamin Netanyahu ne peut néanmoins que constater l'implication de la Russie dans la guerre en Syrie et dans les différentes crises qui agitent la région, parallèlement à ce qui est perçu comme un effacement des Etats-Unis sous la présidence de Barack Obama, lequel n'a plus que quelques mois à passer à la Maison blanche. "Netanyahu n'est pas en train de changer de camp, mais ce à quoi nous assistons, c'est à une tentative de manoeuvrer de manière indépendante pour défendre les intérêts d'Israël", dit Zvi Magen, ancien ambassadeur d'Israël en Russie et désormais membre de l'Institut pour les études sur la sécurité nationale au sein de l'Université de Tel Aviv. Alors que les forces russes combattent comme l'Iran et le Hezbollah libanais pour maintenir Bachar al Assad au pouvoir en Syrie, Vladimir Poutine apparaît comme le meilleur garant que ces trois ennemis d'Israël n'attaqueront pas l'Etat hébreu à partir du nord. Le président russe peut aussi être un relais privilégié pour défendre l'argument de Benjamin Netanyahu selon lequel la perte de contrôle de Bachar al Assad sur son pays justifie l'annexion par Israël du plateau du Golan en 1981, une initiative jamais reconnue par la communauté internationale après la prise de ce territoire par l'Etat hébreu en 1967. RELATIONS PERSONNELLES En échange, le Premier ministre israélien peut promettre au président russe une forme de retenue de la part d'Israël à propos des événements en Syrie, où la Russie dispose d'importantes installations militaires, dont une base navale sur la Méditerranée. Il peut aussi lui offrir l'occasion de peser davantage sur la recherche d'une solution au conflit israélo-palestinien, un processus dominé de longue date par les Etats-Unis. Alors que l'administration Obama et la France laissent entendre qu'elles pourraient appuyer une éventuelle résolution du Conseil de sécurité des Nations unies contre les colonies juives dans les territoires palestiniens occupés, Benjamin Netanyahu a tout intérêt à courtiser la Russie, titulaire d'un droit de veto. La liste des personnalités qui se succèdent à Moscou pourrait indiquer une volonté russe de peser davantage sur les événements au Proche-Orient. Lors de sa précédente visite dans la capitale russe en avril, Benjamin Netanyahu avait été précédé de trois jours par le président palestinien, Mahmoud Abbas. Mercredi, après son départ, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a reçu son homologue palestinien, Riyad al Maliki. Ancien conseiller à la sécurité nationale auprès de Benjamin Netanyahu, Yaakov Amidror relativise l'hypothèse d'un rapprochement israélo-russe au détriment des Etats-Unis. Selon lui, l'objectif des deux pays est avant tout d'éviter une confrontation accidentelle en Syrie et l'entente actuelle est aussi le fait des bonnes relations personnelles de Benjamin Netanyahu avec Vladimir Poutine, qui contrastent avec l'antipathie manifeste que lui inspire Barack Obama. MOSCOU DÉMENT TOUTE CONCURRENCE Le Premier ministre israélien et le président américain ont exposé au grand jour leurs différends sur le programme nucléaire de l'Iran et sur l'attitude à adopter à l'égard des Palestiniens. Ils se querellent aussi sur les modalités d'un nouveau protocole (MOU) d'assistance militaire des Etats-Unis à Israël. Benjamin Netanyahu n'a plus été reçu par Barack Obama depuis novembre et un déplacement prévu en mars a été annulé en raison des désaccords sur le futur programme d'aide militaire. Malgré cela, le partenariat entre Israël et les Etats-Unis peut toujours s'appuyer sur un réseau dense de connexions militaires, diplomatiques et parlementaires, souligne Yaakov Amidror, aujourd'hui membre du centre Begin-Sadate d'études stratégiques à l'université israélienne Bar-Ilan et du centre américain de réflexion JINSA. "En Syrie, il est susceptible d'y avoir demain matin un affrontement que ni nous ni les Russes ne voulons", dit-il, en allusion au risque d'incident militaire. "Ce n'est pas comme avec le MOU, sur lequel nous pouvons passer des mois à discuter avec les Américains avec la garantie qu'une solution sera trouvée." A Moscou, on se garde de se présenter en concurrent des Américains vis-à-vis d'Israël. "On ne peut en aucun cas dire que l'intensité de ces contacts reflète la moindre rivalité avec quiconque", assure le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov. La Russie multiplie tout de même les gestes susceptibles de plaire à l'opinion publique israélienne. A l'occasion de la visite de Benjamin Netanyahu cette semaine, elle a rendu un char israélien dont s'étaient emparées les forces syriennes en 1982 durant la guerre au Liban et elle a donné son accord pour payer les retraites de dizaines de milliers d'immigrés russes en Israël. (Avec Dmitry Solovyov à Moscou, Bertrand Boucey pour le service français)