En Israël, la réforme judiciaire de Netanyahu provoque une crise majeure

La figure de Benjamin Netanyahu concentre toutes les critiques dans les manifestations contre sa grande réforme judiciaire, comme ce samedi 25 mars à Tel Aviv.
La figure de Benjamin Netanyahu concentre toutes les critiques dans les manifestations contre sa grande réforme judiciaire, comme ce samedi 25 mars à Tel Aviv.

Benjamin Netanyahu concentre toutes les critiques à cause d’une réforme judiciaire jugée dangereuse pour la démocratie. Son gouvernement le plus à droite de l’histoire du pays est en train d’exploser.

INTERNATIONAL - « Démocratie » et « liberté », scandent-ils. À Jérusalem, Tel Aviv ou Haïfa, des milliers d’Israéliens manifestent depuis le début de l’année contre le gouvernement du Premier ministre Benjamin Netanyahu, le plus à droite jamais constitué dans l’histoire du pays.

Dans la nuit du dimanche au lundi 27 mars, ils étaient encore très nombreux à converger vers la rue Kaplan de Tel-Aviv, épicentre de la contestation après que le chef du gouvernement a limogé son ministre de la Défense qui demandait à mettre en pause un texte contesté sur la justice. Quelques heures plus tard, le chef de la plus grande centrale syndicale a appelé à une « grève générale » immédiate.

Il y a quelques jours, Benjamin Netanyahu, en partance pour une visite officielle à Rome, avait dû rallier l’aéroport international Ben-Gourion, près de Tel Aviv, à bord d’un hélicoptère à cause du blocage des routes par des centaines de voitures. Les protestations ont également contraint le ministre de la Défense américain, Lloyd Austin, à écourter sa visite en Israël début mars. « Le droit d’expression n’est pas la porte ouverte à l’anarchie et ne doit pas perturber la vie des citoyens », réagissait alors le ministre de la Sécurité nationale, l’ultranationaliste Itamar Ben Gvir, chantre de l’extrême droite et l’une des personnalités les plus controversées du gouvernement. « Il est interdit de bloquer les axes de circulation principaux », a-t-il prévenu.

Deux issues : une « catastrophe » ou une « solution »

Ces manifestations monstres visent plus particulièrement la réforme judiciaire menée par l’exécutif. Elle permettrait au Premier ministre de nommer les juges et au Parlement de renverser les décisions prises par la Cour suprême avec une majorité simple. Ses opposants estiment être témoins d’un véritable affront à la démocratie.

Le gouvernement affirme de son côté que la réforme est nécessaire pour rétablir un rapport de force équilibré entre les élus et une justice « indépendante », mais pas « omnipotente », selon les mots de Benjamin Netanyahu, qui accuse la Cour suprême d’être politisée. Ironie de l’histoire : le Premier ministre étant poursuivi pour corruption dans plusieurs affaires, il pourrait se servir de sa réforme pour casser un éventuel jugement venant à le condamner.

Des Israéliens manifestent contre la réforme judiciaire voulue par le gouvernement de Benjamin Netanyahou, le 9 mars 2023 à Tel Aviv.
Des Israéliens manifestent contre la réforme judiciaire voulue par le gouvernement de Benjamin Netanyahou, le 9 mars 2023 à Tel Aviv.

Même le président israélien Isaac Herzog, habituellement cantonné à un rôle de représentation, est déjà intervenu à plusieurs reprises pour exprimer son opposition à cette loi. Ce lundi matin, il a encore appelé le gouvernement à « arrêter immédiatement » le processus législatif. « Nous avons été témoins la nuit dernière de scènes très difficiles. La nation entière est en proie à une profonde inquiétude. Notre sécurité, notre économie et notre société sont toutes menacées », a-t-il écrit. Quelques jours plus tôt, il avait qualifié le texte de « menace sur les fondements de la démocratie ».

Les réservistes rejoignent la lutte

Selon lui, il y a seulement deux issues à cette crise politique : une « catastrophe » ou une « solution ». En tout cas pour l’instant, la crise s’enlise. Le 1er mars, la police a utilisé la force avec des grenades assourdissantes et des canons à eaux pour disperser les manifestants à Tel Aviv, une première depuis janvier, a rapporté l’agence Associated Press. Une vidéo de Reuters montre les fortes tensions entre les policiers à cheval face à la foule en colère dans cette ville qui borde la mer Méditerranée.

Le même jour, Sara Netanyahu, la femme du Premier ministre, a dû être évacuée d’un salon de coiffure devant lequel des manifestants s’étaient rassemblés. Le chef du gouvernement a posté dans la soirée une photo de lui enlaçant sa femme avec une phrase : « L’anarchie doit prendre fin. Cela peut engendrer des morts ».

Un nouveau tournant a eu lieu plus tôt courant mars. 37 des 40 pilotes d’élite du 69e escadron de l’armée de l’air ont menacé de ne pas participer à un entraînement obligatoire. Dans une lettre parue dans les médias, les grévistes expliquaient ne pas vouloir servir « un régime dictatorial ». Ils ont finalement accepté de suspendre leur boycott et de participer à une discussion avec leurs commandants, rapporte la BBC.

Des appels de réservistes, nombreux dans ce pays où le service militaire est obligatoire, à refuser de servir se sont multipliés ces dernières semaines. À tel point que 10 anciens chefs de l’armée de l’air ont demandé à Benjamin Natanyahou d’« arrêter et trouver une solution » à cette crise. « Nous craignons les conséquences de ce processus, et le danger sérieux et tangible que cela cause à la sécurité nationale de l’État d’Israël », ont-ils écrit dans une lettre ouverte.

Un risque d’« anarchie totale »

Le chef du gouvernement a répondu à ces affronts avec une photo d’identité en noir et blanc du temps où il était lui-même dans l’armée, en 1967. « Lorsque les réservistes sont appelés, nous nous présentons toujours. Nous sommes une nation », a-t-il écrit pour accompagner ce cliché.

Après bientôt trois mois de contestation, manifestants et gouvernement campent chacun sur leurs positions. Dans un édito paru courant mars dans le journal Ha’Aretz et relayé par Courrier international, le journaliste politique Anshel Pfeffer a essayé d’anticiper la suite de cette crise avec différents scénarios, et il n’est pas optimiste. Scénario un, la réforme passe malgré la contestation de la rue « mais Israël risque de rester durablement divisé, avec des conséquences désastreuses pour l’avenir. »

Ou bien, poursuit-il, des concessions sont accordées par le gouvernement mais chaque camp reste mécontent et les manifestations s’intensifient. Le gouvernement pourrait également faire une pause et gagner du temps face aux condamnations internationales, notamment celle des États-Unis. Le ministre de la Défense Llyod Austin a en effet rappelé lors de sa visite éclair l’importance d’une « justice indépendante ».

Scénario quatre, la Cour suprême rejette la réforme et Benyamin Netanyahu est forcé de quitter ses fonctions en raison de ses affaires judiciaires. « Israël n’ayant pas de véritable Constitution, il n’existe aucun manuel prévoyant la suite […]. Autrement dit, ce serait l’anarchie totale », prévient Anshel Pfeffer.

Enfin, le journaliste craint une crise économique avec la fuite des entreprises, voire une troisième intifada dans ce contexte tendu où les violences se multiplient entre les colons israéliens les plus extrémistes et les Palestiniens depuis l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir. Se dirige-t-on vers une « catastrophe » ?

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