Israël-Palestine : pour ces profs d’Histoire, enseigner le conflit à leurs élèves est aussi un enjeu

Comment les professeurs d’histoire-géographie abordent le conflit entre Israël et la Palestine avec leurs élèves.
Maskot / Getty Images/Maskot Comment les professeurs d’histoire-géographie abordent le conflit entre Israël et la Palestine avec leurs élèves.

ÉDUCATION - Questions de géographie, de vocabulaire ou sur le traitement médiatique de l’information… Depuis l’attaque du Hamas le 7 octobre dernier et les bombardements d’Israël sur Gaza dans les semaines qui ont suivi, le conflit israélo-palestinien s’invite aussi dans les salles de classe. Et les professeurs d’histoire-géographie sont les interlocuteurs privilégiés pour répondre aux questions des élèves, puisque le sujet est au programme de terminale.

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« Certains ont manifestement besoin d’évoquer le sujet et essayent de comprendre ce qu’il s’est passé, mais ce n’est pas une majorité » constate Christophe Cailleaux, professeur d’histoire-géographie dans un lycée de l’agglomération de Dijon et membre du Syndicat National des Enseignants du Second degré (SNES), avant de préciser : « Je n’ai pas eu affaire à des débats houleux ou de tensions. »

Il continue : « On se prépare tout particulièrement aux questionnements perturbants. On y est souvent confrontés. Mais c’est rarissime que des élèves nous provoquent. » Un constat globalement partagé par ses collègues du SNES et par ceux que nous avons interrogés. Même si les situations semblent varier suivant les enseignants. Tous sont d’accord sur une chose : le sujet est délicat et peut prêter à confusion au moment de l’aborder.

L’enseignement du conflit

Au moment de commencer le cours sur le conflit entre Israël et la Palestine, les élèves ont souvent des savoirs préconçus et lacunaires, constate Théo Cohen, enseignant d’histoire-géographie dans un lycée de Villeurbanne. « Si on n’arrive pas à atténuer la confusion dans leur esprit, le risque est qu’ils n’aient pas de nuance dans leur raisonnement », estime-t-il.

Le rôle des enseignants est donc de faire comprendre aux élèves la complexité de la situation actuelle, en leur apportant une perspective historique. Et pour ce faire, il est important que les élèves participent à la construction de leurs connaissances, d’après Théo Cohen : « Si vous vous positionnez comme le seul représentant du savoir, vous fragilisez votre autorité. »

Jean-Michel Crosnier, professeur à la retraite et porte-parole de l’association d’enseignants d’histoire-géographie Les Clionautes, abordait, lorsqu’il était encore en exercice, la genèse du conflit avec des textes historiques primaires « qui ne sont pas des commentaires ». Une manière, selon lui, « de développer des argumentaires de façon rationnelle » qui permettront ensuite aux jeunes de se construire un raisonnement.

Autre point important dans l’enseignement : apporter une perspective positive. « D’un point de vue historique, si les conflits ont un début, ils ont aussi une fin », rappelle Christophe Cailleaux. Il est donc essentiel d’exposer des perspectives de paix entre Israël et la Palestine, « en montrant aux élèves qu’il existe des acteurs, associations et groupes qui œuvrent en ce sens des deux côtés ».

Ne pas couper court aux discussions

Les professeurs ont de nombreux écueils à éviter. Le principal est de ne surtout pas laisser transparaître son opinion. Pour cela, plusieurs techniques existent. Christophe Cailleaux utilise par exemple « le droit international comme fil rouge pour répondre » aux élèves afin de rester dans une forme de neutralité.

De son côté, Théo Cohen adopte une démarche comparative lorsqu’il enseigne ce conflit, ce qui permet « d’éviter les soupçons de biais » : « On doit leur faire comprendre pourquoi on dit “barrière de sécurité” d’un côté et “mur de la honte” de l’autre. »

Autre enjeu pour les enseignants : ne pas tomber dans des stratégies d’évitement. « Beaucoup de professeurs coupent court aux discussions par peur de ne pas les maîtriser et de perdre le fil du programme. Ça ne peut pas être une solution », estime Théo Cohen. Les risques ? Créer un sentiment de frustration chez les élèves et donner l’impression d’un tabou porté par l’institution.

« Il n’y a rien de pire pour apaiser une situation que de donner l’impression qu’on ne peut pas en parler » considère-t-il avant de rappeler : « Il ne faut pas non plus que l’on tombe dans le commentaire d’actualité. » Car cela peut être « extrêmement dangereux » sur un sujet qui prête à confusion.

Anticiper les conversations sensibles

Les potentiels problèmes avec les élèves peuvent aussi être désamorcés en amont. Il est possible par exemple de rappeler les bases : les jeunes ont le droit de poser des questions et de s’interroger sur le monde. Mais « le racisme et l’antisémitisme sont des délits qui n’ont pas le droit d’être exprimés en classe », rappelle Vincent Schweitzer, professeur dans un lycée de la région Grand Est et lui aussi membre du SNES.

Pour prévenir d’éventuelles tensions, il identifie en amont les sujets potentiellement difficiles du cours afin de ne pas les aborder dans une ambiance de classe « un peu bordélique ».

« Quand les classes ne sont pas gérées correctement, les jeunes sont spontanés et il y a un risque d’entendre des propos racistes ou antisémites », considère-t-il. En cas de propos problématiques, le professeur estime qu’il faut arrêter le cours et « instaurer une ambiance solennelle afin de discuter ».

Mais les efforts des enseignants ne pèsent pas grand-chose par rapport aux « torrents de bêtises et de haine que les élèves peuvent entendre ailleurs », regrette Christophe Cailleaux, en référence à certains médias et réseaux sociaux. « On a environ cinq heures pour aborder le sujet. Cette fenêtre n’est peut-être pas suffisante pour les contrebalancer. »

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