En Israël, le mouvement pour la libération des otages devient une nouvelle « force d’opposition » - INTERVIEW

Les familles des otages israéliens détenus dans la bande de Gaza et plusieurs sympathisants brandissent des pancartes et scandent des slogans appelant à leur libération, à Tel Aviv le 2 septembre 2024.
JACK GUEZ / AFP Les familles des otages israéliens détenus dans la bande de Gaza et plusieurs sympathisants brandissent des pancartes et scandent des slogans appelant à leur libération, à Tel Aviv le 2 septembre 2024.

INTERNATIONAL - Une indignation nationale. L’annonce, dimanche 31 août par l’armée israélienne, de la découverte des corps de six otages tués par le Hamas a accentué la mobilisation en Israël. Des dizaines de milliers de personnes en deuil et en colère sont descendues dans les rues au cours des derniers jours pour ce qui semble être les manifestations les plus importantes qu’ait connues le pays en onze mois de guerre.

En Israël, la pression de la rue monte sur Netanyahu pour obtenir la libération des otages du Hamas

Dimanche soir, une foule massive s’est rassemblée devant le bureau et devant le domicile de Benjamin Netanyahu et son domicile dans la soirée de dimanche. Tenu pour responsable – en partie – de la mort des otages, le visage et le nom du Premier ministre israélien sont partout sur les pancartes.

Les manifestants réclament au Premier ministre qu’il ajuste au plus vite sa stratégie pour obtenir un accord permettant la libération des otages, alors que les discussions en vue d’un cessez-le-feu patinent depuis des semaines, Israël et le Hamas s’accusant mutuellement de bloquer les discussions.

Pour Le HuffPost, Nitzan Perelman, doctorante en sociologie et ingénieure d’études au CNRS, spécialiste de la société israélienne, revient sur les raisons qui ont motivé ces milliers de citoyens à descendre dans les rues.

Le HuffPost : Comment la nouvelle des six corps d’otages retrouvés samedi a-t-elle rapidement renforcé la mobilisation ?

Nitzan Perelman : Depuis des mois, des manifestations sont organisées en Israël, notamment par les familles des otages, afin de s’assurer que leur libération reste une priorité pour le gouvernement. Peu à peu, les refus répétés de Benjamin Netanyahu de mener des négociations plus flexibles pour sauver ces otages ont commencé à exaspérer. Parallèlement, les médias israéliens ont récemment rapporté qu’une nouvelle directive du Hamas ordonnait de tuer les otages et de fuir dans le cas où les soldats de l’armée israélienne se rapprochaient.

Or c’est précisément ce qui est arrivé à six otages retrouvés morts ce samedi. La population israélienne a alors rapidement compris que la stratégie de Netanyahu, qui repose uniquement sur la pression militaire pour libérer les otages, était vouée à l’échec. Cet événement a fourni la preuve ultime que cette approche ne ferait qu’exposer les otages à un danger mortel.

Cela a donc donné lieu à des manifestations beaucoup plus importantes et virulentes. De plus, ces rassemblements ont reçu le soutien de la Histadrout, une organisation syndicale de premier plan en Israël, qui a appelé à une grève générale. On assiste, en réalité, à un élargissement et au renforcement de l’opposition à Netanyahu.

Quels sont les profils des manifestants qui sont descendus dans les rues ?

C’est une question intéressante, car jusqu’à présent, les manifestations contre le gouvernement et les rassemblements pour la libération des otages se déroulaient séparément. Ce week-end, cependant, ces deux causes ont convergé, marquant ainsi un véritable tournant.

Dans les rues, on a vu des manifestants anti-Netanyahu, qui s’opposent depuis longtemps au dirigeant et avaient déjà protesté contre sa réforme de la justice avant même l’attaque du Hamas, aux côtés des familles d’otages et des militants du mouvement « Bring Them Home Now », qui luttent depuis l’attaque du 7 octobre pour sauver les otages détenus à Gaza.

Il est également frappant de constater que les militants pour la libération des otages ont changé de position vis-à-vis du gouvernement. Il y a encore quelques mois, ils espéraient pouvoir collaborer avec le gouvernement pour ramener leurs proches en vie. Désormais, le mouvement devient un nouveau groupe d’opposition à Benjamin Netanyahu.

De nombreuses pancartes et slogans de manifestants ciblent directement Netanyahu, que lui reprochent-ils ?

Tout d’abord, les manifestants ne reprochent pas à Benjamin Netanyahu de faire à la guerre au Hamas ou d’avoir causé la mort de milliers de Palestiniens. Le message principal de ces manifestations, c’est un appel à agir pour libérer les otages. C’est la première raison pour laquelle les manifestants en veulent à Benjamin Netanyahu : ils le tiennent pour responsable et considèrent qu’il a assassiné indirectement ces otages.

Ensuite, il y a également un second type de slogan qui revient dans ces foules. Les manifestants accusent Benjamin Netanyahu de privilégier son propre intérêt, c’est-à-dire à la survie de son gouvernement, plutôt que de pousser pour la libération des otages. En effet, Netanyahu sait que s’il met fin à cette guerre, il perdrait ses alliés politiques et n’aurait pas de possibilité de créer une nouvelle coalition gouvernementale. En somme, s’il écoute les manifestants, son gouvernement tombe.

Ces manifestations peuvent-elles avoir des conséquences sur les négociations pour la libération des otages ?

Il faudra certainement attendre le week-end prochain pour le savoir, puisque les manifestations sont plutôt organisées le samedi. Néanmoins, Benjamin Netanyahu a déjà été forcé, par le passé, de revoir ses choix politiques suite à d’importantes manifestations. En mars 2023, par exemple, il a dû revenir sur sa décision de limoger son ministre de la Défense Yoav Gallant alors que les Israéliens étaient descendus en masse dans les rues.

Cette fois, cependant, le contexte est différent. Il y a bien sûr la stratégie militaire qu’Israël souhaite opérer dans la bande de Gaza, mais également des enjeux de maintien politique pour Benjamin Netanyahu et son gouvernement. Un des scénarios qui le pousserait à agir serait de voir l’économie bloquée par la grève générale. Mais celle-ci n’est pour l’instant que partiellement suivie, et elle a été déclarée illégale.

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