Israël-Liban : sous les bombes israéliennes, ces Libanais s’organisent sans l’aide de l’État

Au Liban, les frappes israéliennes se sont intensifiées. Sur place, la population tente d’organiser l’accueil des dizaines de milliers de personnes qui ont fui leur maison.

LIBAN - Le Liban connaît sa période « la plus meurtrière en une génération ». Selon l’ONU, en moins d’une semaine, au moins 700 personnes ont perdu la vie, dont une cinquantaine d’enfants, des milliers ont été blessés et plus de 120 000 ont été déplacées à travers le pays. Des chiffres qui continuent d’augmenter heure par heure. Sur place, une multitude d’ONG viennent en aide aux personnes déplacées, la plupart du temps sans aucune aide de l’État.

Frappes d’Israël au Liban : cette illustratrice dessine la douleur de voir « son pays de loin sous les bombes »

Des familles ont fui le sud du Liban, mais aussi la Bekaa, à l’est du pays. D’autres la banlieue sud de Beyrouth, également la cible des frappes israéliennes. Fadi*, 30 ans, a décidé de quitter son domicile situé à Tyr, dans le sud, le 23 septembre. « Les missiles et les bombes devenaient très visibles, audibles, et de plus en plus proches, dans la région d’el-Hosh, raconte-t-il. On a pris tout ce qu’on a pu et on est partis. »

Avec sa famille, il est monté dans sa voiture et a mis plus de 17 heures à arriver jusqu’à Beyrouth, située à environ 80 kilomètres. « On avançait très lentement à cause des embouteillages, explique-t-il. Les bombes tombaient autour de nous. » Ils ont finalement roulé jusqu’à Batroun, une ville portuaire du nord. Le prix des loyers a explosé depuis quelques jours. « On a fini par trouver un logement dans l’ancien marché de Batroun à 1 000 $ par mois, pour sept personnes », décrit-il.

« On aide les gens pour ne pas perdre notre humanité »

Trouver un toit est le principal problème des familles qui ont fui. Les Libanais qui le peuvent sont accueillis par des proches dans d’autres régions. Ceux qui ont les moyens louent à prix d’or des logements déjà très cher en temps normal. À Saïda, ville côtière à une quarantaine de kilomètres au sud de Beyrouth, habitants et associations essayent de s’organiser. « On aide les gens simplement pour ne pas perdre notre humanité », soupire Layane Sousi, de l’association caritative locale Sanadak, créée en 2021.

« J’ai trouvé à ce jour une trentaine d’appartements. Certains demandent un loyer convenable, d’autres moins. D’autres encore les logent gratuitement », décrit-elle, un peu dépassée par l’afflux de personnes. Elle évoque le cas d’une femme enceinte, qui doit accoucher d’ici quelques jours. « Avec sa famille, elle loge chez un membre de notre association. On ne sait pas quoi faire, on tente de trouver une sage-femme pour qu’elle soit présente quand elle accouchera ou un hôpital qui pourrait l’accueillir », espère Layane Sousi.

Dans tout le pays, des écoles ont été mises à disposition pour les familles qui fuient les bombardements. C’est le cas par exemple à Bchamoun, dans le Mont Liban, près de la capitale. « Au Liban, nous n’avons pas de centres d’accueil, donc on utilise les écoles, confirme Maya Terro, de l’association Foodblessed. Mais elles ne sont pas équipées pour cela : ce sont seulement des salles de classe que l’on transforme. Donc on a besoin de matelas, de couvertures, de tous les produits de base. »

« Comme dans toute guerre, certains en profitent »

Les matelas sont devenus en quelques jours une denrée rare dans le pays. « Comme dans toute guerre, certains en profitent, s’agace-t-elle. Un matelas, ça coûtait 6 ou 8 $ il y a deux semaines et c’est monté à 25 $. » La petite ONG a réussi à collecter près de 3 000 $ en quelques jours. « Ce n’est pas énorme, mais nous pouvons distribuer de la nourriture et des produits de première nécessité », souligne Maya Terro, qui ajoute : « J’ai dû me poser cette question : qu’est-ce qui est le plus important ? De dormir sur un matelas ou de manger ? Ce n’est pas normal. »

Parmi le public accueilli, il y a des personnes âgées, des parents avec leurs enfants, des nourrissons… Et tous ont des besoins spécifiques : médicaments, couches, protections hygiéniques, lait pour bébé, kits de première urgence, etc. Certains produits commencent déjà à manquer dans les supermarchés. « Tout ce qui est fromage fondu, par exemple, qui n’a pas besoin d’être gardé au frais, est en rupture de stock, souligne Soha Zaiter, qui travaille à la Lebanese Food Bank depuis douze ans. Même les fournisseurs qui voudraient faire des dons ne peuvent pas, tant la demande a explosé. »

« Le bruit des avions israéliens dans le ciel »

La capitale du pays, déjà habituellement sujette aux embouteillages, est envahie de voitures. Les familles qui arrivent sont « sous le choc ». « Même à Beyrouth, on entend le bruit des avions israéliens dans le ciel. Ce n’est pas évident, surtout pour les enfants, qui ont peur. On ne peut pas leur dire de ne pas avoir peur », estime Soha Zaiter.

Selon elle, c’est « la pire crise » au Liban depuis plus de 20 ans. « Les gens ont peur, même à Beyrouth. Les hôpitaux sont déjà remplis à cause des bipers qui ont explosé la semaine dernière. Avec les gens transférés du sud ou d’ailleurs, c’est le chaos », décrit-elle.

Lorsque Christian Ghafary, de l’ONG Basmeh & Zeitooneh, répond au téléphone, il revient tout juste d’une école à Beyrouth, dans le quartier de Tariq El Jdideh. « Les réservoirs d’eau étaient vides, il a fallu les remplir avec l’aide de la municipalité », relate-t-il. Dans chaque salle de classe sont logées jusqu’à quatre familles différentes. La plupart sont parties en catastrophe, sans rien emporter, même pas des vêtements. Certains sont blessés. « Un homme était en train d’acheter du pain pour sa famille lorsqu’une explosion a eu lieu près du magasin. Il a été blessé à la jambe et ils ont fui en bus depuis le sud », raconte-t-il.

« Personne ne sait comment ça va évoluer »

L’association, qui travaille habituellement auprès de réfugiés, existe depuis 2012. Ces bombardements ravivent pour beaucoup les traumatismes de la guerre. « J’ai croisé une femme syrienne, qui a fui en 2013 avec ses enfants. Elle vit dans la banlieue de Beyrouth et a dû partir. Ses enfants étaient terrorisés. Elle m’a dit : “Je suis à nouveau réfugiée, dans le pays où j’étais déjà réfugiée” », rapporte-t-il.

L’aide s’organise grâce au travail de nombreuses ONG, aguerries aux différentes crises traversées par le pays, et à l’aide de nombreux volontaires. « Nous ne recevons aucune aide de l’État. C’est plutôt nous qui les aidons. En 2006, ils n’ont rien fait, lors de l’explosion, ils n’ont rien fait. Donc on se débrouille sans eux, résume Maya Terro. Personne ne sait comment ça va évoluer ».

L’inquiétude est dans tous les esprits. « En 2006, j’étais volontaire à la Croix-Rouge libanaise. Et ce que je vois là, ça n’a rien à voir. Même l’explosion du port, c’était horrible. Mais là, c’est la guerre », s’alarme Christian Ghafary. Il doit raccrocher : une explosion, venant de la banlieue sud de Beyrouth, vient de retentir.

* Le prénom a été modifié

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