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Islam: En plein débat sur la loi sur la laïcité, le CFCM prépare sa réforme

Le ministre de l'Intérieur, Christophe Castaner, a confirmé dimanche la volonté de l'Etat de réformer la loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l'Etat pour la faire appliquer plus strictement, lors d'un congrès réunissant les acteurs institutionnels de l'islam de France. /Photo prise le 10 octobre 2018/REUTERS/Philippe Wojazer

PARIS (Reuters) - Le ministre de l'Intérieur, Christophe Castaner, a confirmé dimanche la volonté de l'Etat de réformer la loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l'Etat pour la faire appliquer plus strictement, lors d'un congrès réunissant les acteurs institutionnels de l'islam de France.

"Je souhaite construire une réflexion avec vous qui pourra prendre la forme d'une traduction législative autour de la loi qui est née d'un vote il y a 113 ans aujourd'hui jour pour jour", a déclaré Christophe Castaner lors du congrès qui s'est tenu à l'Institut du monde arabe (Ima).

Critiqué pour son manque de représentativité et son éloignement de la base musulmane, le Conseil français du culte musulman (CFCM), organisateur du congrès, avait invité les dix fédérations nationales représentant le culte musulman à ce rassemblement inédit, mêmes celles qui n'en sont pas membres.

Le CFCM représente quelque 900 mosquées sur les 2.500 de France.

L'Etat, a dit le ministre de l'Intérieur, ne veut pas s'immiscer dans l'organisation interne du culte mais veut faire appliquer plus strictement les principes relatifs à l'ordre public, à l'interdiction des réunions publiques dans les salles de prière et à la transparence des cultes prévus dans la loi votée le 9 décembre 1905.

"La parole religieuse a une autorité particulière et à ce titre il n'est pas illégitime qu'elle fasse l'objet d'une vigilance particulière", a déclaré Christophe Castaner.

"Cent treize ans après 1905, plusieurs des dispositions qui visaient à garantir cet objectif se trouvent inapplicables", notamment parce que certaines sanctions prévues sont "désuètes", a dit le ministre.

TRANSPARENCE

Il a en outre souligné que de nombreuses mosquées étaient gérées par des associations "loi de 1901" et non par des associations de type cultuel prévues par la loi de 1905.

Il s'agira donc d'aligner le régime juridique des associations cultuelles sous statut 1901, moins contraignant, sur le régime des associations 1905, plus strict.

L'alignement des statuts 1901 et 1905 n'est pas souhaité par tous les acteurs du culte. Certaines mosquées trouvent pratique d'utiliser le statut 1901 qui leur permet d'avoir également des activités culturelles et éducatives.

"Des administrations nous incitent — ce qui n'est pas nouveau — à faire prévaloir la loi de 1905", a déclaré le recteur de la Grande mosquée de Paris et ancien président du CFCM, Dalil Boubakeur. "Nous demandons, au contraire, le respect de nos statuts actuels, qu'on ne peut légalement nous contraindre à changer."

Certains principes concernant la restructuration du CFCM font toutefois l'objet d'un "large consensus", a assuré son vice-président Anouar Kbibech.

DES JEUNES ET DES FEMMES

Pour éviter la "compétition électorale exacerbée" observée lors des cinq élections qu'a connu le CFCM depuis sa création en 2003, il s'agira de "présenter des listes communes entre les fédérations" dans toutes les régions de France, a indiqué Anouar Kbibech.

Pour "renforcer la proximité avec les fidèles", un échelon départemental serait créé et le CFCM s'ouvrirait à la société civile en accueillant des jeunes et des femmes, avec peut-être un quota mis en place pour ces dernières, voire des convertis à cette religion, pour répondre à ceux qui estiment que le CFCM est constitué de "blédards" (de personnes originaires de pays musulmans, NDLR).

Pour accompagner cette ambitieuse réforme, qu'il reste à acter, le financement du CFCM serait revu. Le CFCM ne dispose que d'un budget de 30.000 euros environ. Son président Ahmet Ogras avait indiqué récemment à Reuters souhaiter un budget de 300.000 euros.

Surtout, le CFCM vient de créer une association loi de 1905, l'Association de soutien et de financement au culte musulman (AFSCM), pour financer la construction des mosquées et la formation des imams. Elle remplirait ses caisses en prélevant son écot sur le pèlerinage à la Mecque et sur le marché de la nourriture halal.

Il reste maintenant à "activer" cette "pièce essentielle de la réforme du CFCM", a reconnu Ahmet Ogras dimanche.

Cette association a été créée pour faire pièce au projet concurrent de l'Amif (Association pour l'islam de France), que veut créer le consultant Hakim El Karoui. Cet ancien banquier d'affaires est écouté par Emmanuel Macron qui l'a connu alors qu'ils étaient tous les deux à la banque Rothschild.

SYMBOLE

Hakim El Karoui, dont le projet a été fustigé à de multiples reprises lors du congrès de dimanche sans que son nom soit mentionné, a dévoilé une liste de personnalités soutenant son projet dans une tribune publiée par Le Monde du 6 décembre. Parmi celles-ci figurent l'écrivain Tahar Ben Jelloun et divers imams comme Tareq Oubrou (Bordeaux), Mohamed Bajrafil (Ivry-sur-Seine) ainsi que des aumôniers, ou des cadres d'entreprises.

Le CFCM n'a pas encore donné de date pour le vote de sa réforme. Certains points font encore débat. Comme celui de la présidence tournante en vigueur ces dernières années.

Faut-il continuer avec ce système comme l'a suggéré Dalil Boubakeur, ou, faire la place aux représentant des fédérations plus petites, comme l'a proposé Assani Fassassi, secrétaire général de la Fédération française des associations islamiques d'Afrique, des Comores et des Antilles (FFAIACA). Il plaide pour que la présidence n'aille pas à une des grandes fédérations représentant un pays maghrébin ou la Turquie, mais à un Africain. Tout un symbole.

(Danielle Rouquié, édité par Tangi Salaün)