Publicité

Les Iraniens appelés aux urnes vendredi, sans illusion ni espoir

LES IRANIENS APPELÉS AUX URNES VENDREDI, SANS ILLUSION NI ESPOIR

par Babak Dehghanpisheh

DUBAI (Reuters) - "Je n'ai aucun espoir et je n'irai pas voter" : cinq ans après les espoirs soulevés par l'accord sur le programme nucléaire, les Iraniens sont appelés aux urnes vendredi pour des élections législatives qui pourraient pâtir du regain de tension avec Washington et d'une économie asphyxiée par les sanctions.

"Je suis quelqu'un qui avait l'habitude de voter avant, j'avais l'espoir que les choses aillent un peu mieux", confie une médecin de Téhéran, qui a requis l'anonymat. "Maintenant toutes les lignes rouges ont été franchies" et "je n'ai aucun espoir".

Longtemps bête noire des Etats-Unis, l'Iran a opéré un rapprochement en 2015 avec Washington et le reste de la communauté internationale en signant un accord encadrant son programme nucléaire en contrepartie d'une levée des sanctions économiques pesant sur son économie.

L'espoir soulevé par cet accord, notamment chez les 70% d'Iraniens âgés de moins de 35 ans, a toutefois été rapidement douché par la décision unilatérale du président américain Donald Trump en 2018 de se retirer du texte et de rétablir une série de sanctions contre la République islamique.

Cette décision, condamnée par Téhéran et déplorée par les autres signataires du texte, a asphyxié l'économie iranienne dont le PIB s'est contracté de 4,6% sur l’exercice fiscal 2019-2020 et devrait fondre encore de 7,2% cette année, selon les estimations de l’Institut de la finance internationale.

Les mesures d'austérité prises par le gouvernement, notamment l'annonce d'une hausse du prix de l'essence, ont fait descendre dans la rue des milliers de personnes à l'automne - des manifestations violemment réprimées par les autorités qui auraient fait selon Amnesty International plus de 300 morts.

"AUCUNE DIFFÉRENCE"

Pour Ali, employé d'une boutique de téléphones portables à Ispahan, dans le centre du pays, "la clef de tout c'est l'économie".

"Si une personne n'a pas d'argent pour rapporter du pain à sa femme et sa famille, alors il arrêtera de prier et perdra même ses convictions", ajoute-t-il, joint par Reuters par téléphone. "J'ai voté pendant plusieurs années et ça n'a fait aucune différence. Nous n'avons pas vu de progrès qui nous pousserait à soutenir tel ou tel candidat."

Déjà éprouvée par les sanctions économiques, la confiance de la population en la classe dirigeante en Iran a été ébranlée début janvier par la destruction d'un Boeing 737-800 ukrainien, abattu "par erreur" par les autorités iraniennes, causant la mort des 176 personnes à son bord - parmi lesquelles 145 Iraniens.

"Cette année, les choses vont de mal en pis", estime un habitant de Téhéran, qui ne souhaite pas être identifié. "Après l'accident d'avion, le gouvernement a perdu beaucoup de ses soutiens".

Dans ce contexte de désillusions, les analystes s'attendent à un taux de participation plus faible que celui enregistré lors des dernières élections législatives en 2016 (62%).

Face à cette perspective et à un possible échec de l'alliance gouvernementale formée par les modérés et les réformateurs, le président Hassan Rohani a appelé fin janvier les électeurs à se déplacer en masse aux urnes.

Un message repris mardi par le guide suprême iranien et véritable détenteur du pouvoir en Iran, l'ayatollah Ali Khamenei, qui a estimé qu'une forte participation donnerait l'image d'un Iran uni face aux "ennemis" de la République islamique.

"L'Amérique ne réussira pas à créer des divisions entre les autorités et les Iraniens", a-t-il écrit sur son compte Twitter. "Une forte participation montrera notre unité face aux ennemis."

"Nous avons besoin d'un Parlement fort pour neutraliser les complots de nos ennemis", a-t-il ajouté. Vendredi, les électeurs iraniens seront appelés à choisir leurs 290 députés parmi les 7.000 candidats en lice.

(avec Parisa Hafezi, version française Marine Pennetier, édité par Henri-Pierre André)