Iran : un an après la mort de Mahsa Amini, « le régime veut briser les militants » mais la contestation continue

Après une année du mouvement « Femme, vie, liberté » et des centaines de mort, la mobilisation dans la rue s’est éteinte, mais la contestation continue.
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INTERNATIONAL - Il y a un an, le 16 septembre 2022, Mahsa Amini, étudiante de 22 ans, mourrait sous les coups de la police des mœurs iranienne. Le décès de la jeune femme d’origine kurde, arrêtée quelques jours plus tôt parce qu’on lui reprochait d’avoir mal ajusté son voile, a déclenché une large révolte en Iran.

Après une année du mouvement « Femme, vie, liberté » et des centaines de mort, la mobilisation dans la rue s’est éteinte, mais la contestation continue. C’est ce qu’explique au HuffPost Chirinne Ardakani, avocate au barreau du Val-d’Oise et présidente de l’association Iran Justice.

Ça fait plusieurs mois que les médias couvrent moins la situation en Iran. Ceux qui suivent la situation de loin pourraient imaginer que la révolte est finie. Est-ce vraiment le cas ?

Les journalistes étrangers n’ont pu couvrir que ce qu’ils ont vu, et ce qu’ils ont vu ce sont des manifestations qui ont faibli, voire disparu. Aujourd’hui, le tribut qu’ont payé les jeunes a été tellement lourd qu’ils ne veulent plus être de la chair à canon. Donc, les modalités de la contestation ont évolué.

Il y a toujours au départ cette effervescence à vouloir se dire que les régimes vont tomber dans les 48 heures. Or, ce qu’il se passe en Iran, c’est un mouvement de fond de contestation de l’autorité théocratique, qui prend du temps. Il y a eu un point de rupture avec la mort de Jina Mahsa Amini. Mais ensuite, il y a eu la mise en branle de la société civile, avec un certain nombre de groupes comme les militants des droits humains, le mouvement féministe iranien, la scène intellectuelle et artistique… Ces groupes se sont mis en ordre de bataille pour essayer de donner des débouchés à un mouvement qui était très spontané et se manifestait par des mobilisations dans la rue.

Ça a donné lieu à une autre forme de structuration au long cours de la société civile. Et il reste aussi un mouvement de désobéissance civile généralisée illustré par le refus des femmes de se voiler.

Le voile, justement, a cristallisé la mobilisation depuis la mort de Mahsa Amini. Qu’en est-il aujourd’hui ?

Le voile obligatoire est un instrument du rapport de force politique dans la société. Dans la question de la désobéissance civile des femmes qui refusent de se voiler, il y a le fait de dire « le voile est l’étendard de la République islamique, nous ne voulons plus de la République islamique donc on va s’attaquer au symbole de la République islamique en refusant de le vêtir ».

Le régime ne lâche rien sur le contrôle du corps des femmes et il va même aller plus loin puisqu’il durcit la législation relative aux sanctions sur le non-respect du voile obligatoire. Dans ces sanctions, il y a vraiment la volonté d’humilier, de mettre au ban de la société les femmes qui ne respectent pas le port du voile. Aussi bien dans la rue que sur le plan législatif, il y a une contre-offensive très nette de la République islamique.

De nombreuses militantes et de nombreux militants sont enfermés dans des geôles iraniennes. Quelle est la situation dans ces prisons politiques ?

Les prisons politiques concentrent les foyers vifs de tout ce qui est potentiellement porteur de trouble pour la République Islamique. Cela fait des mois que le régime se prépare aux commémorations et au regain de mobilisation qu’il craint au moment des « un an ». Donc ils ont pris leurs dispositions et procédé à des arrestations massives à titre préventif. Les féministes y sont passées, les journalistes, les universitaires, les étudiants… Tout le monde a été raflé, donc la situation dans les prisons est tendue.

Le régime veut briser les militants psychologiquement. Il y a vraiment cette idée de terroriser à l’intérieur des prisons. Narges Mohammadi (militante des droits de l’Homme détenue à la prison d’Evin, à Téhéran, NDLR) a fait sortir un texte cette semaine pour expliquer que c’est la deuxième fois en trois jours qu’une de ses co-détenue faisait une tentative de suicide, parce qu’elle était harcelée par l’administration pénitentiaire, qu’elle était soumise à des traitements inhumains et dégradants. Les prisonnières ont fait une minigrève devant l’infirmerie, sans porter le voile, ce qui a valu à Narges Mohammadi d’être battue dans la cour. Voilà l’état d’esprit dans les prisons : on veut faire flancher les prisonniers politiques.

Vous venez de porter plainte auprès du procureur de Paris contre Hossein Salami, le chef des gardiens de la révolution, pour menace de mort et apologie du terrorisme. Pourquoi cette démarche ?

Cela fait un an que, dans l’arsenal répressif de la République islamique, il y a aussi le fait de terroriser la diaspora. Ils ont déployé cette doctrine qui n’est pas nouvelle : la République islamique a une très longue tradition de traque des opposants politiques à l’étranger.

Mais Hossein Salami a passé les six derniers mois à expliquer que la main de Dieu viendrait s’abattre sur quiconque, y compris à l’étranger, soutiendrait les manifestations. Avec cette plainte, ce qu’on veut dire c’est « vous tentez de bâillonner la société iranienne en imposant la terreur, vous ne parviendrez pas à imposer la terreur en dehors du territoire iranien ». On se doit de répondre, sinon ça participe de cette culture de l’impunité.

Vous avez de l’espoir pour l’avenir du mouvement ?

J’ai de l’espoir, mais j’ai aussi en tête les difficultés. Ce qui me donne de l’espoir, c’est la jeune génération qui s’est mobilisée. Ceux qui se sont fait massacrer aux premiers jours de la contestation étaient très jeunes. Mahsa Amini avait 22 ans, Hadis Najafi, tuée trois jours plus tard, avait 20 ans. Pareil avec les vagues de pendaisons. Mehdi Karami, en janvier 2023, avait 21 ans, Majid Reza, 23 ans. Ils sont devenus les symboles d’une génération qui sera marquée à vie et pour laquelle la rupture est consommée. Pour elle, le pouvoir en place n’est pas légitime et ne le sera jamais. Ce qui me donne de l’espoir, c’est de me dire que ces gens-là vont être un jour en mesure de renverser la société.

Il y a aussi la détermination des prisonnières et prisonniers politiques. Il y a une élite intellectuelle et morale qui est prisonnière d’opinion mais qui existe et qui arrive quand même à se faire entendre, comme le montre le fait que quatre prisonnières politiques aient réussi à faire la couverture du Monde.

Le dernier facteur encourageant, c’est que la clé de voûte du système est le clergé et notamment l’Ayatollah Khamenei. Et à un moment, il va mourir. Peut-être qu’alors, il y aura une brèche.

Et les difficultés ?

Les facteurs d’inquiétude, c’est cette violence aveugle d’un régime qui est prêt à tout pour garder le pouvoir. Et s’il faut qu’il emploie tous les moyens méthodiques de mise à mort, il le fera. Il l’a déjà fait : en 2019, il y a eu des milliers de morts. Il peut passer à une étape supérieure dans l’horreur.

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