Interdiction de l’abaya : la lycéenne en kimono exclue de son lycée « a vécu un grand moment de solitude »

Photo de la lycéenne à Lyon en Kimono, postée sur Twitter par son avocat Nabil Boudi.
Photo de la lycéenne à Lyon en Kimono, postée sur Twitter par son avocat Nabil Boudi.

ÉCOLE - L’interdiction de l’abaya ou du qamis à l’école, annonce médiatique de la rentrée, n’a pas fini de créer des remous dans les établissements. « J’ai reçu une cascade de plaignantes », raconte au HuffPost Nabil Boudi, avocat au Barreau de Paris. En quelques jours, il affirme avoir été contacté par une quinzaine de jeunes pour des exclusions en raison de leur habillement, considéré par leurs chefs établissements comme « un signe d’appartenance religieuse ». Ce qu’elles contestent.

C’est le cas de cette jeune fille de 15 ans, qui dénonce avoir été exclue de son établissement à Lyon, mardi 5 septembre, parce qu’elle portait un kimono, long mais ouvert sur le devant du corps. Une exclusion démentie par le Rectorat de Lyon, qui a indiqué à Libération que le chef d’établissement n’avait fait qu’appliquer la note du ministère et que l’élève n’a pas été à proprement parler exclue de l’établissement puisqu’elle a pu revenir en cours dès l’après-midi.

« Le kimono est assimilé à une abaya »

Ce mardi 5 septembre, la lycéenne venait de faire sa rentrée en seconde. « Le CPE est entré au milieu de la classe pour rappeler quelques règles, explique au HuffPost son avocat Nabil Boudi. À ce moment-là, il a aperçu que la fille était vêtue d’un kimono. Il s’est tourné vers elle, lui a demandé de s’approcher puis de retirer son kimono, ce qu’elle a refusé de faire. »

L’avocat affirme que la jeune fille aurait ensuite été amenée dans le bureau du proviseur. « Le directeur lui a expliqué que le kimono était assimilé à une abaya, un vêtement religieux », poursuit l’avocat. À ce moment-là, « elle refuse toujours de l’enlever, en argumentant qu’elle n’a pas un comportement religieux ».

Si la jeune fille aurait alors insisté sur cet argument, c’est que la note de service du ministre de l’Éducation, transmise le 31 août aux établissements, donne « droit au chef d’établissement à une marge d’appréciation sur les tenues portées par les élèves ». Une marge d’appréciation qui s’appuie sur le comportement de l’élève. « Or, elle n’avait aucun comportement, puisqu’elle était en train de suivre son cours, s’agace l’avocat. Elle n’avait pas été vue en train d’enlever un foulard en arrivant devant l’établissement ou bien en train de faire du prosélytisme ou autre. »

Le proviseur aurait alors demandé à la jeune fille de quitter l’établissement et de revenir vêtue autrement. « Elle est rentrée chez elle, a fait part de la situation à ses parents, qui ont contacté le proviseur qui les accueillis le lendemain, le mercredi. Le chef d’établissement a maintenu sa position et le fait que le kimono était un vêtement assimilable », résume Nabil Boudi.

« Un grand moment de solitude »

De son côté, le rectorat de Lyon assure auprès de Libération que l’élève n’a pas été exclue du lycée puisqu’elle « est revenue en cours dès l’après-midi » et qu’« elle est présente ce jour dans l’établissement ». Une interprétation disputée par la famille de la jeune fille. « Dès lors où on demande à un enfant de quitter l’établissement, c’est une exclusion. Que cela ne s’inscrive pas dans une procédure disciplinaire, j’ai envie de dire tant mieux pour eux, parce que ce serait grave. Mais de fait elle, a été exclue », insiste son avocat.

Une plainte contre X est alors déposée par la famille le jour même auprès du procureur de la République de Lyon, pour « discrimination en raison de l’appartenance religieuse ».

La jeune fille se serait sentie « humiliée » par cet incident, selon son avocat. « C’était son premier jour de lycée, elle ne connaissait personne, était entourée de nouveaux camarades. Pour elle, ça crée un climat anxiogène, la crainte du harcèlement… Elle a vécu un grand moment de solitude », souligne-t-il.

« Ce n’est pas la bonne méthode à adopter avec des adolescents »

Les cas de ce type se multiplient. Mercredi 6 septembre, c’est à Bobigny qu’une mère a porté plainte, après que sa fille, habillée elle aussi d’un kimono au lycée, a été renvoyée chez elle. « Le problème, c’est que cette note ministérielle donne un pouvoir discrétionnaire aux chefs d’établissement pour pratiquer ce que l’on appelle de l’arbitraire, dénonce Nabil Boudi. Sur la base de quoi un directeur va-t-il décider si un vêtement est assimilable à un signe religieux ? Ce sont des contrôles vestimentaires au faciès. »

Cette nuit, l’avocat affirme avoir reçu le cas d’une jeune fille qui portait des vêtements amples, que la CPE lui aurait demandé de cintrer. Une demande que cette jeune fille, en surpoids, aurait refusée. Selon Nabil Boudi, sa cliente a ensuite été exclue de l’établissement. Évoquant une « violence psychologique inouïe » à l’égard de sa fille, sa mère a alors envoyé ce message à l’avocat : « Elle ne porte ni voile ni abaya, écrit-elle. Si elle pouvait porter des vêtements comme ses copines elle le ferait, mais son surpoids l’en empêche. »

« Il y a un vrai fossé entre le phénomène - s’il existe - et les moyens employés, regrette l’avocat. C’est coercitif, alors qu’en présence de personnes aussi jeunes, il aurait mieux valu passer par du dialogue et de l’échange. Là, on établit directement un rapport de force, ce n’est pas la bonne méthode à adopter avec des adolescents. »

Le Conseil d’État, saisi par l’association Action droits des musulmans, qui voyait dans la note du ministre une « atteinte aux droits de l’enfant » et une discrimination raciale et sexiste, a rejeté cette requête jeudi 7 septembre, validant donc la décision du ministre de l’Éducation nationale Gabriel Attal.

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