Inscrire le consentement dans la loi sur le viol ? Pour Anne Bouillon, « il faut aller plus loin »

Anne Bouillon. Nantes Juillet 2024.
Anne Bouillon. Nantes Juillet 2024.

JUSTICE - Alors que le procès des viols de Mazan se poursuit avec l’interrogation des accusés cette semaine, la question du consentement est au cœur des débats et dépasse le cadre du prétoire. Le nouveau ministre de la Justice, Didier Migaud, a même annoncé ce vendredi 27 septembre sur France Inter sa volonté d’inscrire cette notion dans la loi et de faire évoluer la définition du viol dans le Code Pénal.

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Actuellement, la loi française est l’une des rares en Europe à ne pas mentionner le consentement. Voici sa définition actuelle : « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol » (article 222-23 du Code pénal).

Le HuffPost a interrogé Anne Bouillon, avocate au barreau de Nantes, sur cette question. Elle plaide au quotidien contre les violences faites aux femmes et publie le 3 octobre Affaires de femmes, une vie à plaider pour elles, aux éditions Iconoclaste.

Le HuffPost. La notion de consentement est au cœur des débats au procès des viols de Mazan. Est-ce le cas dans toutes les affaires de violences sexuelles ?

Anne Bouillon. Oui, bien sûr. Cette notion est en creux et elle est en plein. Elle est en creux parce qu’elle ne dit pas son nom dans la loi et donc on la recherche sans qu’elle soit nommée. Et elle est en plein parce qu’elle est sans arrêt évoquée, soit par la plaignante, soit par les mis en cause. La plaignante, qui peut dire qu’elle n’a pas donné son consentement et le mis en cause qui peut dire : « Elle n’a pas dit “non”. »

Donc cette notion de consentement, c’est ce qu’on recherche, quand on travaille sur des dossiers de viol. C’est un peu la pierre angulaire, la variable d’ajustement de ce qui viendra définir la culpabilité ou pas. Sauf que juridiquement, ce n’est pas ça.

C’est une notion qui est polysémique, protéiforme, que le droit a du mal à appréhender. Le consentement « parfait », ce serait le consentement que l’on appose au bas d’un contrat, ce qui n’est pas envisageable dans le cadre de relations sexuelles. Donc venir caractériser ce qui manifeste un consentement plein et entier, évidemment, c’est une question délicate.

Que pensez-vous de la définition actuelle du viol dans le Code pénal ?

Ce qu’il est important de comprendre, c’est que l’on a construit l’infraction de viol avec une vision très patriarcale des choses.

Juridiquement, la preuve de l’absence de consentement se déduit nécessairement de l’utilisation de la contrainte, de la violence et la surprise. C’est un raisonnement à postériori, c’est-à-dire que dès lors qu’il y a l’utilisation de la contrainte de la violence ou de la surprise, alors on en déduit quasi automatiquement l’absence de consentement.

Dans votre livre, vous évoquez des « zones grises », où il est compliqué de caractériser le fait que l’auteur avait conscience de l’absence de consentement de la plaignante. Pouvez-vous nous donner un exemple ?

Dans un des cas que je raconte dans le livre, une jeune fille a rencontré quelqu’un sur Tinder et a eu ce sentiment absolu d’avoir subi un viol. Je pense qu’elle était sidérée au moment où elle a eu ce rapport sexuel, donc elle n’a pas pu s’y opposer. On aurait du mal à venir caractériser la contrainte, la menace, la violence ou la surprise. Mais pour autant, il y a eu cette facilité de passage à l’acte de la part du mis en cause, qui à aucun moment ne s’est assuré que c’était OK. Et moi ce que je voudrais, c’est qu’on s’assure que ce soit OK, en fait.

Que faut-il changer selon vous dans la loi pour cela ?

Inscrire la notion de consentement dans la définition du viol est une bonne idée, mais cela ne changera pas grand-chose. Ce n’est pas une révolution juridique. C’est juste rappeler que le consentement est une notion explicite, qu’il faut recueillir, dont il faut s’assurer ou se préoccuper, dans le cadre de relations sexuelles.

Je considère que nous sommes à un moment charnière de notre histoire, que nous partons à la reconquête de nos corps, et qu’il n’est pas possible de faire l’économie de dire qu’un rapport sexuel non consenti est un viol. Mais il ne faut pas s’arrêter là, il faut aller plus loin.

Ce dont on a besoin, c’est de pouvoir interroger les auteurs sur les garanties qu’ils ont prises sur le recueil du consentement. C’est ça qui m’intéresse, moi. C’est de pouvoir demander dans le prétoire à un accusé ou un mis en cause : « Dites-moi, Monsieur, qu’avez-vous fait pour vous assurer du plein consentement de Madame ? » Et c’est de pouvoir faire en sorte que la réponse à cette question ait un impact juridique.

Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, puisque vous pouvez poser la question aux accusés de Mazan et, quelle que soit la réponse, ce n’est pas cela qui viendra caractériser l’infraction. Ce qui viendra caractériser l’infraction, c’est : ont-ils utilisé la surprise, ont-ils vicié le consentement de Mme Pelicot, avaient-ils conscience qu’elle ne voulait pas ?

Vous évoquez donc dans votre livre l’idée d’inclure dans la loi « la notion de vérification du consentement ». Quelle forme cela pourrait prendre ?

C’est une vraie question, à laquelle je n’ai pas encore la réponse. Est-ce que l’on pourrait considérer que ne pas avoir vérifié le consentement est un viol ? Assurément non. Je crois qu’il faudrait réfléchir à une nouvelle infraction, comme l’ont fait les Suédois. Une infraction de non-vérification de consentement, qui ne serait pas un crime. Mais qui permettrait au moins de reconnaître quelque chose et qu’il n’y ait moins de classements sans suite.

La loi sur le viol est extrêmement signifiante de qui nous sommes. On est en 2024, on prend conscience que le viol est un phénomène structurant de notre société, que ce n’est pas dans les parkings, que c’est d’abord dans les alcôves. Donc il s’agit de venir rappeler à toutes et tous que s’assurer du consentement valide de celui ou celle avec laquelle on a un rapport sexuel, c’est nécessaire dans une société moderne, égalitaire, et progressiste.

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