Industrie du luxe : des premiers pas réussis dans le monde des NFTs ?

Le marché des cryptomonnaies a beau être à la peine, il est des secteurs qui continuent à proposer des investissements massifs dans cette direction. C’est notamment le cas de l’industrie du luxe. Les maisons qui la composent semblent s’orienter vers une numérisation toujours plus importante de l’expérience client. Elles tentent ainsi de s’adresser principalement aux milléniaux et à la génération Z, qui représentent 60 % de la croissance mondiale des ventes de produits de luxe.

Idéalement, les marques de luxe prospèrent sur un héritage et restent souvent prudentes face au changement pour préserver leur prestige. Les voir se tourner vers les jetons non fongibles (ou « NFTs ») et le métavers, un environnement numérique dans lequel les individus participent à des activités sociales avec d’autres via des avatars dans des « mondes » virtuels à 360 degrés, n’est ainsi pas anodin.

Un NFT est un jeton qui représente un actif numérique, enregistré dans des « contrats intelligents » et circulant sur un système sécurisé (une « blockchain » ou « chaîne de blocs »). Il a des caractéristiques qui lui sont propres et il ne peut ainsi pas être remplacé ou échangé par un autre jeton équivalent. Il recèle un certain nombre d’informations garantissant son authenticité face aux potentielles copies. Son créateur originaire reçoit des redevances sur les ventes secondaires.

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Gucci a par exemple créé l’espace « Gucci Vault » dans lequel les joueurs, les créateurs et la marque se réunissent pour vivre une expérience unique dans le métavers Sandbox. Cet espace comprend une chasse au trésor de NFTs, des articles vestimentaires digitaux et des accessoires de mode disponibles à l’achat. Récemment, Gucci se préparait à offrir deux articles physiques exclusifs, un portefeuille ou un sac, aux détenteurs de ses NFTs Gucci Vault Material. Ces articles ne sont pas généralement accessibles à la clientèle habituelle de Gucci.

L’objectif est de récompenser la fidélité à la marque, de favoriser l’engagement au sein des communautés comme discord, et de susciter l’engouement sur les réseaux sociaux comme X (anciennement Twitter). Les slogans des marques correspondent-ils néanmoins à ce que recherchent les collectionneurs ? Nos travaux suggèrent en la matière un hiatus assez significatif.

Des discours enthousiastes de la part des marques

Fondamentalement, un NFT n’est qu’une abstraction numérique utilisée pour représenter un actif unique et rare. Dans l’industrie du luxe, les NFTs offrent cependant une gamme d’utilisations plus large, allant de l’authentification des produits et de leur propriétaire à leur utilisation en tant que pièces de collection à part entière. La transformation de produits de luxe en artefacts est devenue une tendance, en magasin comme dans les expériences immersives numériques. Ces actifs offrent aux marques de luxe une opportunité d’extension de leur marque sur un nouveau canal.

Que ce soient des NFTs exclusivement numériques ou des NFTs hybrides numériques/physiques (phygitaux), la demande de NFT dans l’industrie du luxe et du métavers est en augmentation. Les biens virtuels dans les jeux vidéo représentent un marché estimé à 50 milliards de dollars. Ces actifs numériques offrent de nouvelles façons aux consommateurs de faire des achats, d’échanger, de collaborer, de socialiser et d’adopter de nouvelles identités. Du moins est-ce le rêve des marques.

Avec leur nombre limité par édition, les NFTs offrent un statut d’exclusivité, du prestige, de possession de rareté et d’unicité attribué aux marques de luxe. Ils permettent d’habiller les avatars dans les métavers, d’accéder à des événements exclusifs, à des réductions de prix pour des NFTs supplémentaires. Tiffany & Co a par exemple créé un pass NFT, échangeable contre un pendentif CryptoPunk physique fabriqué à la main par des artistes utilisant plus de 30 pierres précieuses ou diamants avec une base en or de 18 carats. Les consommateurs reçoivent également une version numérique du pendentif après l’achat.

Tiffany & Co. est l’une des premières marques à entrer dans le métavers, ce qui lui confère le sentiment d’être précurseur parmi les marques de luxe. Selon un collectionneur de NFT dans le luxe :

« Tiffany a également offert une valeur émotionnelle, car elle offre à ses clients non seulement un produit luxueux, mais aussi une pointe de bonheur du fait que vous possédez désormais un pendentif d’une communauté aussi célèbre que tout le monde connaît »

Le sentiment de prestige émanerait également de l’appartenance à des communautés particulières comme la « D&G family NFT community » de Dolce & Gabbana. Guerlain, de son côté propose 1828 Cryptobees, offrant un accès à sa communauté qui prend une dimension réelle. Chaque actif est en effet lié à des parcelles de terre dans une réserve naturelle. Tous les fonds sont utilisés pour soutenir un projet de renaturation dans la réserve naturelle de la Vallée de la Millière en France. Les NFTs Guerlain sont destinés à « redonner vie à la nature dans le monde réel », affirme la marque. Les acheteurs de Cryptobees reçoivent également une œuvre d’art numérique.

C’est aussi une valeur ludique qui est recherchée par une marque comme Louis Vuitton à travers son jeu « Louis : the game ». Les joueurs qui atteignent avec succès la fin du jeu peuvent accéder à deux niveaux offrant la possibilité de gagner 10 NFTs.

Une demande plus terre à terre

Quel écho néanmoins du côté des collectionneurs ? En analysant le sentiment et les émotions émanant de 2,3 millions de tweets liés aux initiatives NFT de l’industrie du luxe, nous montrons qu’ils adoptent une position bien plus neutre, ni excessivement enthousiaste, ni critique à l’égard des NFTs sur le marché du luxe. Le manque d’émotions fortes dans les discussions concernant les métavers et les NFTs peuvent aussi indiquer une approche plus pragmatique et informative du sujet au sein de cette industrie, plutôt qu’une réponse passionnée des utilisateurs.

Une part substantielle des retweets et des mentions sur Twitter sont des publicités ou des promotions. Nous remarquons également des pics de tweets qui expriment des opinions ou qui fournissent une description de l’événement de lancement ou de la promotion d’un jeton. Cette observation suggère que les pics de tweets font avant tout écho à un échange à grande échelle dans le système social où les opinions des consommateurs se forment et se partagent et confirment un contenu plus publicitaire et informatif qu’émotionnel.

Dans la mesure de cette constatation, il faudrait peut-être qualifier prudemment les premiers pas de l’industrie du luxe dans le monde des NFTs comme réussis. La valeur que les consommateurs cherchent à tirer des initiatives NFTs et du métavers des marques de luxe est largement utilitaire et, dans une moindre mesure, émotionnelle. L’authenticité, la certification de propriété et l’utilité semblent ce que les consommateurs recherchent en premier lieu dans les NFTs des marques de luxe.


La recherche a été effectuée en collaboration avec Efstathios Polyzos (Zayed University) et Tatiana Zalan (American University in Dubai).

La version originale de cet article a été publiée sur La Conversation, un site d'actualités à but non lucratif dédié au partage d'idées entre experts universitaires et grand public.

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