En Inde, un pélerinage "pour Baba" de plus en plus emaillé de violences
Durant le mois sacré de Shravan, des millions de fidèles hindous entreprennent un pèlerinage en Inde en l'honneur du dieu de la destruction Shiva, une marche religieuse de plus en plus accompagnée de violences dans le nord du pays.
Ce pèlerinage conduit chaque année des millions de fidèles jusqu'au bord du Gange, d'où ils remplissent deux récipients d'eau bénite qu'ils porteront sur leurs épaules à l'aide d'un bâton de bambou, parfois sur des centaines de kilomètres.
Vêtus d'habits de couleur safran, les dévots acheminent ensuite l'eau jusque dans des sanctuaires pour célébrer notamment les pluies de la mousson.
Les pèlerins, connus sous le nom de "Kanwarias" en référence aux tiges de bambou, sont pour la plupart de jeunes hommes, peu fortunés et dévoués à leur dieu.
Cette longue marche leur offre aussi une parenthèse de festivités dans leur dur labeur quotidien, au cours de laquelle ils écoutent de la musique et fument du cannabis.
Mais des troubles ont éclaté cette année.
D'après des vidéos partagées sur les réseaux sociaux et vérifiées par l'AFP, certains pèlerins ont par exemple vandalisé une station-service après avoir été enjoints d'arrêter de fumer, se sont battus entre eux ou ont grièvement blessé des passants.
"Il y a des pommes pourries partout", veut croire Sachin Chawla, dévot de 30 ans.
- "Etat subordonné au parti" -
Pour les experts, l'absence de réaction du gouvernement du Premier ministre nationaliste Narendra Modi face aux violences est l'expression de sa politique axée sur l'hindouisme.
Dans l'Etat indien le plus peuplé, l'Uttar Pradesh (nord-est), dont le ministre en chef est un moine hindou radical affilié au Bharatiya Janata Party (BJP), le parti de Narendra Modi, de hauts responsables ont survolé la foule à bord d'un hélicoptère pour arroser les dévots de pétales de fleurs.
Cela, quelques jours après que des pèlerins ont renversé une voiture de sécurité appartenant aux autorités locales.
Le gouvernement indien a "bien fait comprendre que l'Etat était subordonné au parti au pouvoir", analyse l'anthropologue Sanjay Srivastava de la SOAS de l'Université de Londres.
"Ce message semble avoir été clairement compris sur le terrain."
Dans plusieurs Etats indiens contrôlés par le BJP, les autorités locales ont interdit la viande le long des routes empruntées par les pèlerins, qui sont pour la plupart végétariens durant ce mois sacré.
D'autres sont encore allés plus loin cette année.
Dans deux Etats, les autorités ont enjoint les restaurants à afficher le nom de leurs propriétaires afin, selon l'opposition, d'identifier ceux dirigés par des personnes de confession musulmane.
Cette mesure a par la suite été levée sur décision de la Cour suprême indienne.
- "Pour Baba" -
Kamal Kumar, tireur de pousse-pousse, a avalé en deux semaines près de 200 kilomètres avec 70 litres d'eau sur les épaules. Sa destination: un temple de New Delhi, la capitale.
"Je le fais pour Baba", déclare le jeune homme de 20 ans, en référence à Shiva.
Le nombre de fidèles qui entreprennent ce pèlerinage augmente d'année en année, selon les chiffres des autorités indiennes.
Environ 45 millions de personnes se sont rassemblées cette année dans la ville sainte de Haridwar, dans l'Etat de l'Uttarakhand (nord), pour collecter de l'eau depuis les rives du Gange, soit deux fois plus qu'en 2017.
"Tout le monde autour de moi y va, alors j'ai décidé d'y aller", explique Siddharth Kumar, un jeune homme de 18 ans sans emploi, qui vit dans un bidonville de la banlieue de New Delhi.
"J'espère que dieu fera quelque chose pour moi et ma famille."
Lors de ce pèlerinage, la classe ouvrière indienne sort de l'ombre et "occupe le devant de la scène", souligne la sociologue Ravinder Kaur de l'Université de Copenhague.
Cet évènement est avant tout "l'expression des profondes inégalités de classes et de castes qui façonnent l'Inde contemporaine", ajoute-t-elle.
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